Scènes de la rue communarde – La Chanson au son du canon
le par Édouard Galby-Marinetti
Une population d’anonymes ?
En explorateur d’archives, Jacques Rougerie a dénoncé l’ambiguïté des sources qui fixent l’histoire, les inégalités de nature et de traitement :
Nous savons, par bien des témoignages et des livres, ce que les chefs de la Commune ont pensé de l’œuvre révolutionnaire qu’ils ont accomplie, ou tenté d’accomplir. Depuis la publication d’un récent ouvrage, nous savons aussi ce que sont les « doctrines » de la Commune, ce qu’elles doivent à une vieille tradition jacobine, ou à Proudhon, ou à d’autres. Mais peu de documents ont été publiés qui nous éclairent sur ce que, tout en bas de l’échelle, le peuple parisien pensait de sa Commune, sur la façon dont les troupes révolutionnaires envisageaient leur révolution.J. Rougerie, « Comment les communards voyaient la Commune », Le Mouvement social, n°37, oct.-déc. 1961, p. 58
Parole officielle et voix des citoyens ont-elles la même résonance ? Les interrogations pèsent sur cet ensemble anonyme de la population et l’aporie de ses discours. Firmin Maillard est le premier bibliographe des publications sorties au temps de la Commune. Le journaliste constate la grande activité d’écriture, la flambée d’expressivité improvisée et débridée qui caractérise ce temps : « Ces pièces […] représentent un des côtés les plus intéressants de cette époque, côté très-vivant, tapageur et bruyant […] un côté auquel tout le monde a touché au moins par quelques centimes »F. Maillard, Les Publications de la rue pendant le Siège et la Commune, Aubry, Paris, 1874, p. X (doc. 1). Au sein d’un environnement d’écrits éphémères concurrençant la grande presse, organisée et légitime, qui produit un discours de la continuité objective et universelle, existe un corpus qui se partage entre chansons et poèmes. Les pièces de rue, conçues bien souvent en feuillets d’une ou deux pages, font émerger la forte tendance du mode chanté, indice de l’importance des transferts de l’expression au cours de cette période.
Expliquant sa fécondité et sa popularité, Madeleine Rebérioux écrit : « La chanson se glisse partout. Chassée du caf’conc’, il lui reste la rue, les feuilles volantes, les recueils vendus quelques sous. Elle est le cinéma du temps, et le roman quotidien du pauvre. »M. Rebérioux, « Roman, théâtre et chanson – quelle Commune ? », Le Mouvement social, n°79, op. cit., p. 277. Un bref aperçu de l’ouvrage bibliographique de Maillard montre que sur les 435 entrées répertoriées un peu moins de 80 correspondent à des chansons, chants et chansonnettes, soit presque 20%. « La chanson, surtout à une époque où sévit l’analphabétisme, permet de propager largement les idées et les espérances révolutionnaires. Cette forme culturelle, qui, en 1848, fleurit avec les goguettes et les chanteurs des rues, devint, dès la fin du Second Empire, plus militante. »« Introduction », R. Brécy, La Chanson de la Commune, Éd. Ouvrières, Paris, 1991 (doc. 2)
La parole chantée semble être cet organe médiatique opérant, adapté aux nouveaux rapports communautaires. Ce support expressif conserve de nombreuses traces de son impact sur l’imaginaire emprunté par la Commune. La morphologie variable de sa nature explique sa force de pénétration des usages. Classés en différentes variantes, chansons, chants, poèmes sans air, complaintes fourmillent dans des écrits éphémères. Le mot de la rue et ses avatars oraux prouvent l’existence d’une sémiologie proliférante de la chanson et replace la problématique sur la question Qui parle ?