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Événement le 18/05/2013 : Rencontre autour des représentations de la Commune de Paris

La Métafiction historiographique comme « le contraire du roman engagé » : L’Imitation du bonheur de Jean Rouaud (2006)

le par Iva Saric

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Le roman L’Imitation de bonheur de Jean Rouaud se lit comme une métafiction historiographique, qui lie en soi la métaphorisation du matériel (quasi-)historiographique à la problématisation autoréférentielle de la création artistique. Contrairement à la poétique radicale du postmodernisme qui nie la possibilité de grands récits, se laisse prendre par le cynisme, le relativisme, l’indifférence et le manque de sens, Rouaud mène le lecteur aux sources d’un temps moderne, encore plein d’espoir, d’utopie, d’éthique et de valeur, c’est-à-dire un temps où le monde était encore jeune et la lutte révolutionnaire valait l’effort et la peine. Le choix du XIXe siècle comme contexte historique, littéraire, philosophique, utopique et éthique de l’ouvrage ainsi que sa réactualisation et sa réinscription se mettent en relation avec les tendances contemporaines de la recherche du sens comme un remède contre le capitalisme néolibéral et ses répercussions puisque, comme le dit Rouaud :

[…] il n’est pas impossible que le romanesque, qui est une aération de l’esprit, profite d’un certain crépuscule de la pensée. Que cette rêverie du romanesque trouve un terrain favorable lorsque la pensée militante, engagée, échoue à changer le monde. La fiction est aussi un engagement.Voir « Rouaud fait sa révolution », l’entretien de Jean Rouaud avec Didier Jacob, Le Nouvel Observateur, n°2148, 5-11 janvier 2006, p. 80, cit. d’après Boyer-Weinmann, M., « Rouaud sur un fil de soie. Une pensée du roman  » romanesque  » », Lire Rouaud, op. cit., p. 150-151

Le choix de la Commune de Paris comme sujet de l’œuvre, à quoi s’ajoute sa méta-fictionnalisation, ouvre certainement la voie non seulement aux propos politiques, aux discours sur les enjeux de la révolution et le rôle qu’y joue l’idéologie, mais aussi aux questions d’ordre éthique : le problème de la justice sociale, de la solidarité et de l’empathie envers les opprimés. Rejetant la possibilité de l’engagement au sens sartrien du terme, c’est-à-dire la soumission de l’acte littéraire à une doctrine idéologique ou à une activité didactique, il reste toutefois à Rouaud la possibilité d’un engagement discursif. En ce sens, oserions-nous avancer qu’une composante de son ouvrage représente ce que Martha Nussbaum appelle « le paradigme de l’activité morale »« a paradigm of moral activity » (M. Nussbaum, « « Finely Aware and Richly Responsible » : Moral Attention and the Moral Task of Literature », The Journal of Philosophy, vol. 82, n°10, Eighty-Second Annual Meeting American Philosophical Association, Eastern Division (Oct., 1985), p. 516). Ce concept repose sur l’idée qu’un ouvrage littéraire peut influencer son lecteur et changer son attitude vis-à-vis de sa propre expérience du vécu grâce à la possibilité d’imaginer l’autre. En le transformant, la littérature peut contribuer à façonner le comportement moral du lecteur, sa compréhension de l’autre et sa tolérance :

C’est le pouvoir d’instruction voire de rédemption [...] qui fait aussi la valeur et l’importance d’une œuvre – la place qu’elle a dans nos existences. [...] Mais elle est morale dans la mesure où, transformant le lecteur, son rapport à son expérience, elle fait partie de quelque sorte de sa vie.S. Laugier, « Littérature, philosophie, morale », en ligne (site consulté en janvier 2012)

Cette métafiction historiographique de Jean Rouaud ne prétend donc pas être un roman uniquement préoccupé de saisir le réel, dans une fonction qui serait représentative et autoréférentielle, mais s’inspire surtout des possibilités performatives du genre.
Iva Saric

 

Bibliographie
Baty-Delalande Hélène – Debreuille Jean-Yves (dir.), Lire Rouaud, Presses universitaires de Lyon, Lyon, 2010
Lantelme Michel, Lire Jean Rouaud, Armand Collin, Collection Lire et comprendre – Écrivains au présent, Paris, 2009
Laugier Sandra, « Littérature, philosophie, morale », Raison-publique.fr, en ligne (site consulté le 10/01/2012)
Viart Dominique, « Écrire avec le soupçon – enjeux du roman contemporain », Le Roman français contemporain, Ministère des Affaires étrangères – adpf, Paris, 2002, p. 130-174
Viart Dominique, « Mémoires du récit : questions à la modernité », Écritures contemporaines 1: Mémoires du récit, Dominique Viart (dir.), Lettres modernes Minard, Paris-Caen, 1998, p. 3-27

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Pour citer cet article : Iva Saric, « La Métafiction historiographique comme « le contraire du roman engagé » : L’Imitation du bonheur de Jean Rouaud (2006) », Revue Théâtre(s) politique(s), n°1, 03/2013 – URL : http://theatrespolitiques.fr/2013/03/la-metafiction-historiographique-comme-le-contraire-du-roman-engage-limitation-du-bonheur-de-jean-rouaud-2004/

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