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Événement le 18/05/2013 : Rencontre autour des représentations de la Commune de Paris

Sur Le Printemps de la Sociale d’André Fontaine (1974)

le par Édouard Galby-Marinetti

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Le contexte et son auteur
La période qui précède l’année 1974 est marquée par les idées de la Guerre froide. Confrontée au déclin des dogmes, elle enregistre le conflit vietnamien, le choc pétrolier et la fin de la convertibilité du dollar en or, crises qui reflètent à leur tour d’autres impasses, un ordre oligarchique brejnévien conformiste, l’écrasement du Printemps de PragueA. Fontaine, Le Printemps de la Sociale, P. J. Oswald, Paris, 1974, p. 210. Les observateurs découvrent la fragilité des nouveaux empires, le relativisme des idéologies – l’expansionnisme atteint ses limites. Que reste-t-il d’identité dans ce flottement des valeurs ? Quelle stabilité, quelle espèce de « vérité » critique demeurent ? Le dogme d’une observation équitable et non plus seulement objective, une vue équilibrée et raisonnable, sans parti pris, rien n’outrepassant les faits d’homme, semblent la seule conduite à adopter. Menée avec un esprit de mesure, l’écriture de Fontaine traduit ce dessein de rassemblement, d’association des contraires, elle exhorte à la résorption des antagonismes : « La vérité est dans l’harmonie intégrale des deux forces droit et devoir, l’individuel et le collectif. »Ibid., p. 114. L’objectif est de parvenir à l’équilibre entre ces intérêts divergents : « La liberté ne peut et ne doit se défendre que par la liberté. »Ibid., p. 110
La morale personnelle doit s’exercer dans ce cadre. La liberté passe par l’exercice de sa propre indépendance critique. Fontaine aime citer la formule fameuse de Jules Vallès, celle aussi de ceux qui n’ont pas d’histoire, qui ne sont encore rien :

C’est le combat du vieux monde contre le nouveau ; de la tradition monarchique, gouvernementale, pontificale, propriétaire et militaire contre l’idée de liberté, d’individualisme, d’association, de contrat, de solidarité ; contre tout ce que la science positive a affirmé et découvert.Ibid., p. 81

L’auteur est certes journaliste et rédacteur en chef du Monde mais c’est le témoin de son temps, le citoyen attentif, défenseur des faits observés, qui l’emportent. L’enquête historique donne lieu à un acte artistique, l’historiographe devient créateur d’un drame au présent. L’écriture « théâtralisée » ausculte le passé, déplie les raccourcis, les silences forcés, les oublis, elle redimensionne la parole publique, restitue sa diversité, sa nature résolument républicaniste, dévouée à ce socle doctrinaire constitué autour de la liberté d’expression, des voix individuelles (citoyennes), de la cohérence collective. L’auteur au présent délivre le passé de ses chaînes, de ses mythes, il l’offre à la critique actuelle, à l’éclaircissement dramatique.

Théâtre et voix de la rue, une mise en histoire d’aujourd’hui
Fontaine donne à son œuvre le sous-titre Spectacle engagé et néanmoins critique. La notion de spectacle conduit à un débordement du cadre scénique, fresque vivante où les mots retrouvent leurs origines, où les traces se recomposent en identités indépendantes et complètes, où toute manifestation partielle, en cours d’effacement, rejoint par l’acte de scène le temps de son apparition, de sa venue au monde. Par ses voix scéniques, l’évocation historique de la Commune accède à la pure naissance, à la traversée instantanée des rideaux, des murs du temps et des mots, elle est appel au dépassement : « Avant qu’on s’entende avec ceux des pays voisins, faudra qu’il en tombe des murailles qui cachent la vérité. »Ibid., p. 21. Les hommes de la vraie histoire, les célébrités et les anonymes, se présentent dans la transparence des scènes de (la) rue, des voix familières et quotidiennes dans une projection invisible de l’adaptation historique. Tout entier engagé, matérialisé même dans la défense des hommes et des idées, le personnage interprétant Maxime Lisbonne devenu colonel, estime, en porte-voix de l’auteur, que le « théâtre est dans la rue »Ibid., p. 160. Pour cette raison aussi s’explique le large emploi de la chanson. Matière de la première scène, elle favorise concomitamment le réalisme sonore et vocal et l’incarnation fictionnelle. Sa place à l’ouverture de l’œuvre traduit la force d’une présence dans la réception publique, une vérité orale majeure qui concurrence l’objet de presse, sa fonction : « La chanson était aussi un véhicule des idées. »Ibid., p. 6. Elle clôt l’ouvrage en dialoguant sous la double identité de Jean-Baptiste Clément et Eugène Pottier avec la conscience du père Duchêne sortie d’un songe platonicien :

- L’insurgé, son vrai nom, c’est l’homme.
– Une fois que nous avons vu la lumière, on a beau nous crever les yeux, nous gardons éternellement le souvenir du soleil.Ibid., p. 211

Cette désignation du médium chanté renvoie au registre des voix nues que relève Roland Barthes« La Musique, la voix, la langue », O. C., vol. V, 1977-1980, Seuil, Paris, 2002, p. 528, à sa puissance directe de saisissement. Cette même revendication de la nudité comme principe de vérité égalitariste se trouve dans la figuration du peuple que dessine Delescluze devant les membres de la Commune lors de la séance du 21 mai : « Citoyens, assez de militarisme, plus d’états-majors galonnés et dorés sur toutes les coutures ! Place au peuple, aux combattants aux bras nus, l’heure de la guerre révolutionnaire a sonné. »Ibid., p. 164 Les bras nus répondent aux voix nues, la guerre à la chansonVoir, dans le dossier, mon article intitulé : « Scènes de la rue communarde – La Chanson au son du canon ».

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