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Événement le 18/05/2013 : Rencontre autour des représentations de la Commune de Paris

La Commune ici et maintenant. Le Printemps 71 d’Arthur Adamov (1960)

le par Nathalie Lempereur

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Le Printemps 71, un théâtre de l’histoire

(doc. 4) © Archives municipales de Saint-Denis

 

(doc. 5) © Archives municipales de Saint-Denis

Le Printemps 71 est présenté par son auteur comme une pièce historique dans la préface à l’œuvre et est identifiée comme telle à sa parution, puis à sa création par une partie des critiques. Malgré certaines réticences d’Adamov pour ce genre théâtral, son choix pour une pièce historique est lié à sa volonté de faire connaître cette période qu’il juge capitale mais largement occultée par les manuels républicains (doc. 4, 5) :

La Commune est l’évènement sinon le plus prodigieux (Octobre 17, certes !) du moins le plus précurseur des temps modernes. […] Or cet évènement, qui peut, en France, se vanter de vraiment le connaître ? Sans doute quelques historiens et quelques militants, ceux qui, chaque année, défilent au Mur des Fédérés pour saluer Varlin, Rigault, Ferré… […] À vrai dire, on ne sait rien de la Commune, pour la bonne et simple raison que la bourgeoisie a tout fait pour qu’on n’en sache rien. Ses manuels la mentionnent à peine.Brochure sur la pièce pour les représentations du Théâtre Gérard Philipe, 14 AC 55 (Archives municipales de Saint Denis)

Alors que la Commune est bien cette « oubliée » de l’enseignement, ou cette maltraitée et mal aimée au fil des républiques et ce d’ailleurs jusqu’à une période récenteSur l’enseignement de la Commune, voir les deux articles de D. Nourrisson, « La Commune enseignée au cours des Républiques : une affaire d’images », dans C. Latta (dir.), La Commune de 1871. L’Événement, les hommes et la mémoire : actes du colloque organisé à Précieux et à Montbrison les 15 et 16 mars 2003 sous la présidence de M. Perrot et J. Rougerie, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2004 (article sur l’imagerie de la Commune dans le processus scolaire), p. 337-353 et, « La Commune. Une présence dans l’histoire ; une oubliée dans l’enseignement » dans Identités, mémoires, conscience historique, textes rassemblés par N. Tutiaux-Guillon et D. Nourisson, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2003, p. 53-66., il fallait d’abord pour le dramaturge en retracer l’histoire détaillée. Pour cela, une de ses sources importantes a été l’œuvre du contemporain témoin et acteur de la Commune, Prosper-Olivier Lissagaray, dont la récente réimpression révèle encore l’importanceP.-O. Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, avant-propos de Jean Maitron, La Découverte et Syros, Paris, 2000. Livre toujours utilisé aujourd’hui, comme par la compagnie Les Lorialets pour son spectacle Notre Commune.. Adamov a aussi puisé parmi les périodiques communards et versaillais une matière abondante. Nous avons par ailleurs retrouvé dans les archives de la pièce des notes qu’il a prises sur les clubs ouvriers, clubs féminins, syndicats ouvriers, sections parisiennes de l’Internationale ou sur des témoignages ouvriers sur la CommuneIMEC, ADM 1.11.
Adamov ne semble avoir eu connaissance que de la pièce de Brecht, Les Jours de la Commune. Il n’est pas question ici de revenir plus avant sur l’importance de l’œuvre de Brecht dans le travail d’Adamov et dans son évolution vers un théâtre plus social, voire politiqueJe renvoie parmi d’autres à l’ouvrage de M. Consolini, Théâtre populaire (1953-1964). Histoire d’une revue engagée, IMEC Éd., Paris, 1998 et à notre article « S’engager par et hors du théâtre. Arthur Adamov dans les années 1950 et 1960 », ¿Interrogations ? Revue pluridisciplinaire en sciences de l’homme et de la société, n°9 – L’Engagement, décembre 2009, p. 69-84. [http://www.revue-interrogations.org].. Pour autant, l’auteur s’inscrit dans une démarche différente de BrechtPour une présentation des deux pièces et de leurs différences, voir Daniel Mortier, « Théâtre, Histoire et Politique : La Commune représentée par Brecht et par Adamov », dans V. Ferré et D. Mortier (dir.), Littérature, histoire et politique au XXe siècle. Hommage à Jean-Pierre Morel, Éditions Le Manuscrit, 2010., considérant que ce dernier « a « raté son coup » avec Les Jours de la Commune de Paris. Si je n’en avais pas été convaincu, je n’aurais peut-être pas eu le courage de me mettre au Printemps 71, ni surtout d’y travailler trois ans, de le terminer… » avant d’expliquer que Brecht est tombé selon lui dans l’écueil suivant : « réduire [les aventures individuelles] au minimum pour ne laisser apparaître que l’Histoire »La Nouvelle Critique, n°123, février 1961.

La pièce d’Arthur Adamov commence aux premiers jours de la Commune : 18 mars – 2 avril 1871. Beaucoup de scènes se déroulent place de la Contrescarpe, sur la terrasse du « Cochon fidèle », au contact du quartier latin et des quartiers populaires du Ve arrondissement.
Trois phases, qui correspondent aux trois actes, se dégagent de la pièce : l’avènement de la Commune (18 mars-2 avril 1871), le second siège (2 avril-20 mai 1871) et la Semaine sanglante (21-29 mai 1871). La chronologie est respectée et les grands évènements évoqués, des dates précises sont assignées aux tableaux qui les composent : pour l’acte I (assassinat des généraux, fuite du gouvernement à Versailles, manifestation du « Parti de l’ordre », proclamation de la Commune à Marseille, élections du 26 mars, proclamation de la Commune de Paris, annulation des loyers dus depuis le moratoire du 13 août 1870, suspension de la vente des objets déposés au Mont-de-piété…), pour l’acte II (rappel de l’abolition de la conscription, prise de Courbevoie et offensive des communards, fin de la Commune de Marseille, décret des otages, élections complémentaires du 16 avril au conseil de la Commune, création du Comité de salut public, prise du fort d’Issy, chute de la colonne Vendôme, explosion de la cartoucherie de l’avenue Rapp…) et finalement pour l’acte III (entrée des troupes versaillaises dans Paris par la Porte de Saint-Cloud, prise de Montmartre par les Versaillais, contrôle du quartier latin, exécutions sommaires, représailles…). Ce souci d’Adamov d’informer a pu amener Bernard Dort à évoquer « une excessive prolifération des détails, un souci maniaque de la nuance », tout en reconnaissant qu’on peut y « reconnaître un nouveau théâtre de l’histoire : un théâtre de la connaissance historique, où les grands évènements et la vie quotidienne s’éclairent mutuellement »Texte de B. Dort, tapuscrit, IMEC : ADM 5. 6. La longueur de la pièce et la multiplication des événements et des personnages, qui représentent un large panel des tendances politiques ou attitudes possibles prises au cours de cette période de l’histoire ont effectivement contribué à cette certaine « surcharge ».
Des choix sont pourtant faits par l’auteur, notamment de laisser de côté certaines grandes réalisations sociales et politiques de la Commune, pour insister davantage sur le « prodigieux » travail que devait assumer la Commune pour réorganiser la vie économique et sociale, face à la nécessité de tout reconstruire, et sur la sanglante répression qui y mit fin. Si la réorganisation des services publics, la poste par exemple ou la réforme du Mont-de-piété ou les mesures décrétées par la Commission du Travail, sont largement évoquées, la séparation de l’Église et de l’État décrétée le 2 avril et la confiscation des biens des congrégations, ou la laïcisation de l’enseignement ne sont pas traités dans la pièce. Le chercheur Daniel Mortier dans une étude comparative considère que seules « les mesures révolutionnaires et sociales au sens fort des deux termes »D. Mortier, « Théâtre, histoire et politique : la Commune représentée par Brecht et par Adamov », dans V. Ferré et D. Mortier (dir.), Littérature, histoire et politique au XXe siècle. Hommage à Jean-Pierre Morel, op. cit., p. 169 ont été retenues par Brecht et Adamov. Il semble en effet qu’Adamov ait voulu mettre l’accent sur les mesures prises qui ont eu un impact direct sur la vie quotidienne des Parisiens (remise des loyers d’octobre à avril, interdiction des amendes et retenues sur les salaires, recensement des ateliers abandonnés par les patrons pour les remettre à des associations ouvrières…).
Enfin, Adamov a cherché à nous rendre « sensible » la Commune, à recréer une certaine ambiance de la Commune avec son parler, ses affiches, placardées sur les murs de la CapitaleDans les didascalies, Adamov précise également : « Placardées un peu partout, des affiches, des caricatures » (Le Printemps 71, p. 111).. Des affiches célèbres sont reprises, comme celle du 18 mars, lue par Tonton, qui se terminait par cette phrase : « Que les bons citoyens se séparent des mauvais »Idem, p. 102, ou cette inscription : « Vous ne tuerez pas l’espoir »« Pour la scène : sur le mur noir du fond, une inscription à la craie, en lettres gigantesques » (Le Printemps 71, p. 253).. Quelques chansons, des extraits de discours éparpillés au fil de la pièce donnent le ton de la Commune.

La pièce se distingue d’une certaine tradition du genre du théâtre historique, par sa composition, qui mêle réalisme et grotesque, le choix de personnages fictifs et le refus du héros, une place réservée à la vie quotidienne.
À l’intérieur d’un cadre classique, en actes, la construction de la pièce est originale et complexe. Alternent des « tableaux », des « guignols », et des « transitions » à l’intérieur de chaque acte. Trois « guignols » et trois « transitions » viennent s’intégrer entre les tableaux (26 au total). Les personnages évoluent au cours des tableaux, tandis que les « guignols » et les « transitions » mettent en scène pour les premiers les différentes forces en jeu (Bismarck, Monsieur Thiers, L’Assemblée, La Banque de France, Le Conciliateur, La Commune) et pour les secondes la seule « voix de la commune ». Les deux niveaux de temporalité et de théâtralité s’enrichissent mutuellement, éclairent le lecteur ou le spectateur. Si M. Thiers et Bismarck (les guignols sont joués par des acteurs et non des marionnettes) doivent s’inspirer des caricatures de Daumier, la « Commune » (une jeune femme vêtue en garde national, bonnet phrygien et fusil sur l’épaule) doit s’inspirer des portraits de Louise Michel. Selon leur créateur, « Les guignols présentent […] plusieurs avantages. D’abord celui de couper, de contrarier la pièce tout en la complétant, de la « distancer », en somme ; ensuite, d’éclairer, du point de vue de l’histoire« Presque toutes les paroles prononcées par Thiers, le conciliateur, la Commune, etc., sont des phrases authentiques de Thiers, Louis Blanc, du Journal Officiel de la Commune, etc. », les tableaux qui les suivent, évitant ainsi aux personnages de longues et fastidieuses explications sur les faits »A. Adamov, Théâtre IV, op. cit., p. 89. Il s’agit de petites scènes burlesques, mettant en scène les tractations du pouvoir, ridiculisant Thiers, s’accrochant désespérément à Bismarck, l’Assemblée, prête à tout, et le conciliateur incapable d’avoir le moindre crédit, la Banque de France inquiète, assise sur son coffre. Pourtant, les guignols permettent aussi de savoir où nous en sommes, les avancées des uns et des autres, mais aussi les erreurs et les faiblesses des communards. Ainsi, cette alternance permet à Jacques Debouzy, dans un article intitulé « Adamov et le théâtre historique »France Observateur, 23 novembre 1961, de décrire la pièce comme une « leçon d’histoire – véritable poème pédagogique en images ».
Des « transitions », ou « voix de la commune », ponctuent la pièce et permettent à l’auteur de donner des informations précises, comme l’annonce des élections à la Commune ou de la création du Comité de l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés. D’autres portent l’espoir : « Laissez arriver l’honnêteté, le travail, la justice. Ouvrez les portes au prolétariat instruit, au vrai peuple, à la seule classe pure encore de nos fautes et de nos déchéances, à la seule classe enfin capable de sauver le pays » (transition III)Le Printemps 71, p. 145. Face à ces guignols, ces « fous éhontés »Le Printemps 71, p. 118 qui voulaient toucher à la République, à leurs dialogues clownesques voire honteux, la voix de la Commune apporte l’espoir.

(doc. 6) Un tableau © Archives municipales de Saint-Denis

Les tableaux (doc. 6) sont des scènes avec des personnages qui peuvent être inspirés de personnalités de la Commune mais qui sont fictifs. Adamov a refusé d’héroïser la Commune, en mettant en scène certains grands hommes ou grandes femmes, pour préférer montrer « tous ceux de la Commune », le courage d’hommes et de femmes anonymes. Ce parti-pris explique le grand nombre de personnages présents dans la pièce (qui nécessite une vingtaine d’acteurs, certains rôles pouvant être joués par un même acteur). Arthur Adamov précise au sujet de ces personnages : « J’ai inventé des gens qui étaient Camélinat, Rigault ou Varlin ou Vallès, tels que j’avais appris à les connaître mais qui s’appelaient Oudet ou Fournier ou Tonton […] »Le Printemps 71, préface, p. 89. Par exemple, Arthur Adamov s’est clairement inspiré de Jules Vallès, pour Robert OudetRobert Oudet-Vallès : ce lien est développé dans une interview d’Adamov, L’Humanité, 25 avril 1963. Si des personnalités connues de la Commune peuvent être évoquées ou faire une courte apparition dans la pièce, comme Fränkel, Delescluze, Vermorel, Vallès, Gambon ou Grélier, la parole est avant tout donnée aux « anonymes » et aux « prolétaires ». Cela permet aussi à l’auteur d’être libre dans la construction des personnages, de leur inventer des histoires, des amours éventuels.

La présence de tendances politiques différentes est bien reflétée : nous retrouvons les blanquistes comme Pierre Fournier et Tonton, les internationalistes comme Sofia et Polia, les proudhoniens comme Léon Oudet, les modérés avec Robert Oudet, les Républicains, comme Henri Lagarde. D’autres, comme le jeune Riri, sont des révolutionnaires enthousiastes, d’aucun parti. Par ailleurs, des personnages sont campés dans le camp des Versaillais de gauche avec Paul Martin-Bernard, et des Versaillais de droite avec l’abbé Villedieu.
Adamov a souligné l’engagement des femmes dans la Commune, en mettant en scène des personnages féminins nombreux. La combativité des femmes est bien rendue, à l’image de celle de Nathalie le Mel qui, le 12 mai 1871, déclarait : « Nous arrivons au moment où il faut savoir mourir pour la Patrie. Plus de défaillances : Plus d’incertitudes ! Toutes au combat ! Toutes au devoir ! Il faut écraser Versailles. »S. Jan, « Sur les femmes », dans J. Zwirn (coord.), La Commune de Paris aujourd’hui, op. cit., p. 64. C’est ainsi qu’Adamov fait dire à Jeanne-Marie : « On gagnera, Robert, on gagnera, et il n’y aura plus de crimes sur la terre… je te le jure ! On est venus trop tôt… C’est tout ! »Le Printemps 71, p. 260. Par ailleurs, Polia s’exprime ainsi : « Et bien ! moi, je trouve très bien que ce soit à des femmes, à des citoyennes volontaires, que l’on confie le soin de désarmer les réfractaires. Comme ça, on pourra être sûr qu’ils auront honte. »Le Printemps 71, p. 225. Henriette, elle, reproche au Garibaldien : « Si tu n’as pas la frousse, pourquoi n’es-tu pas à Montmartre avec ton bataillon ? »Idem, p. 241.
Elles aussi représentent différentes tendances, mais (curieusement ?) l’auteur ne précise pas leurs étiquettes politiques mis à part pour les deux étrangères internationalistes, et ce contrairement à leurs homologues masculins. Il y a Jeanne-Marie, couturière, femme de Léon Oudet (peut-être en hommage au poème de Baudelaire, poète qu’Adamov admire énormément), qui monte sur les barricades et encourage les timorés. Elle apparaît comme une des femmes les plus lucides, les plus fidèles à son engagement, et si elle n’est pas qualifiée politiquement par son auteur, elle semble représenter les marxistes : c’est elle qui, nous y reviendrons, en appelle à un parti unique, ou qui peut s’écrier : « Si on est contre les communistes, on est contre la Commune » (p. 156). Il y a Mémère, la patronne du café qui soutient un temps la Commune, et sa fille, Henriette, qui part sur les barricades ; la pauvre fille (ouvrière désemparée), la nièce de l’abbé prénommée Sibylle…
Les deux rôles féminins principaux sont incarnés par les deux Internationalistes : Polia Krikovskaïa, « une Polonaise qui a fui son pays et qui, via Genève, est venue se joindre à nous pour combattre la tyrannie », et Sofia Nikolaïeva : « Étudiante, future physicienne Russe, qui a suivi le même itinéraire et pour les mêmes motifs. »Le Printemps 71, p. 105-106. Polia et Sofia sont particulièrement actives puisqu’elles sont membres de la Commission du Travail et de l’Échange et aussi de l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés. Le rôle de Polia, interprété par Édith Scob lors de la création au TGP de Saint-Denis, a notamment eu pour « modèle » Élisabeth Dmitrieva, Internationaliste russePour des portraits de certaines de ces femmes communardes, voir : G. Dittmar, Histoire des femmes dans la Commune de Paris, Éd. Dittmar, 2003, p. 190.. Elles représentent des figures lucides, qui comprennent un certain nombre d’erreurs de la Commune, qui combattent vigoureusement. C’est par le personnage de Sofia, qui part en Province « pour informer les gens, leur dire ce que nous comptons faire à Paris, afin qu’ils créent partout, comme à Marseille, leur Commune »Le Printemps 71, p. 129, que les évènements hors de Paris sont évoqués.
Enfin, avec elles, avec le Garibaldien, FränkelFränkel fait une apparition dans la pièce, (p. 238) ; un hommage lui est fait par Tonton : « Fränkel ? Le citoyen qui a dit : « Nous ne devons pas oublier que la révolution du 18 mars a été faite exclusivement par la classe ouvrière ». Eh bien ! citoyen, ça, ça… ça s’appelle parler ». Adamov a pu dire de lui : « un des hommes les plus lucides de la Commune ; un des seuls que l’on puisse dire vraiment marxistes. Correspond du reste avec Marx. » (A. Adamov, La Commune de Paris. 18 mars-28 mai 1871, anthologie, op. cit., p. 128)., et Dombrowski, cité dans la pièce, Adamov a bien mis en lumière le rôle réalisé par les nombreux étrangers de la Commune, qui ont pu, « fait unique de l’histoire », exercer le pouvoirJ. Zwirn (coordination), La Commune de Paris aujourd’hui, Les Éditions de l’Atelier, 1999, p. 12-13. Cet aspect peut refléter la situation même de l’auteur, l’exilé, et surtout illustrer, nous y reviendrons, l’internationalisme dans lequel baigne l’auteur, à travers son engagement politique.

La dernière caractéristique importante de la pièce est la place donnée aux histoires individuelles. En effet, dans la pièce d’Adamov, on suit les amours de Pierre Fournier et Sofia, du Garibaldien et d’Henriette, de Robert Oudet et Polia. Au jeune Riri amoureux de Polia, la question est posée : « Riri, qu’est-ce que tu aimerais mieux : suivre le monsieur au melonCette référence succède à Robert Oudet qui s’exclame : « Et puis, si l’on devait filer tous les Parisiens qui tiennent des propos … déplacés, on en aurait, mes amis, pour un bout de temps de chemin. » (Le Printemps 71, p. 160). jusqu’au pont Saint-Michel, ou Polia jusqu’au bout du monde ? »Le Printemps 71, p. 160, semblant supposer que l’amour l’emporte sur le combat. L’historienne et critique de théâtre Raymonde Temkine a pu s’écrier :

D’autant qu’Adamov cède ici au romanesque en nous montrant son Robert Oudet, rédacteur au Cri du peuple (et derrière qui pourrait se profiler Vallès) moins préoccupé, sur les barricades, de la vie de Jeanne-Marie, sa compagne, que de la fatigue de l’Internationaliste [il s’agit de Polia]. Le souci d’humaniser des « héros » doit-il mener fatalement un auteur dramatique engagé à les vouer aux complications sentimentales, dans le temps que des évènements d’une extrême gravité mobilisent leurs énergies ? La différence alors avec le drame bourgeois ?Cité par G. Fischer, The Paris Commune on the stage, Peter Lang, 1981, p. 177

Avis qui n’est pas partagé de tous les critiques, comme Jacques Debouzy, précédemment cité, qui considère qu’Adamov a justement échappé à l’écueil de l’histoire comme toile de fond.
Chaque personnage évolue au fil de la pièce : soit pour reconnaître ses erreurs (Léon Oudet), soit pour finalement « lâcher la Commune » (Henriette). D’autres ont des engagements constants comme Jeanne-Marie, qui encourage son entourage alors même que l’issue semble perdue. D’autres peuvent avoir des moments de fatigue, même parmi les personnages les plus « héroïques », comme PoliaLe Printemps 71, p. 177. Ces personnages sont vus jour après jour, dans leur quotidienneté, face aux tâches à réaliser.
Mais, c’est aussi un certain rapport au temps, avec la difficulté à obtenir les informations à temps, et donc à agir qui ressort de la pièce :

Oui, ce qui m’a intéressé, vraiment intéressé, et plus qu’intéressé, passionné sur le plan dramatique, c’est que ces gens ont si peu de temps et qu’ils devaient lutter sur tellement de fronts [...] cette précipitation des événements qui fait que les hommes n’arrivent jamais à être au point des événements ; ils sont toujours, ou en deçà, ou au-delà, ou plus loin, enfin, une espèce de course de vitesse où il y a à la fois l’intelligence et la poésie.IMEC, ADM 10.3, Transcription d’entretiens, ADM 10.3

Adamov illustre par exemple ce défaut d’information, en intégrant dans sa pièce l’entrée par surprise des troupes versaillaises par la Porte de Saint-Cloud du 21 mai, entre 6 heures et minuit alors qu’« il n’y avait personne aux murailles »J. Rougerie, Paris insurgé, op. cit., p. 99. La nouvelle n’avait été apprise que le lendemain par Delescluze, délégué à la guerre depuis le 10 mai, qui lance alors son fameux appel, repris par Adamov : « Assez de militarisme. Place au peuple, aux combattants aux bras nus ! L’heure de la guerre révolutionnaire a sonné »Idem, p. 237. Dans la pièce, cet évènement est mis en scène : alors que « l’ouvrier dévoyé » annonce cette prise versaillaise, les autres personnages, communards, refusent de le croire, mise à part Henriette qui s’interroge « et… s’il ne mentait pas ? », interrogation à laquelle Robert Oudet répond : « Primo, on l’aurait su ; et secundo, Paris est tout de même fortifié… quoi qu’en pensent l’ami Pierrot et d’aucuns »Le Printemps 71, p. 234-235. En ce sens, le choix de situer la pièce dans le Ve arrondissement, et non dans le XVIIIe, est particulièrement important, « décentrant » ainsi quelque peu l’action. De même, la composition en actes et tableaux, qui mêlent les temporalités, est un choix fort. Ces aspects donnent à la pièce un aspect sensible, humain évident, où se mêlent la joie, l’espoir et parfois la peur, la lâcheté…

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