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Événement le 18/05/2013 : Rencontre autour des représentations de la Commune de Paris

Sur Lycée Thiers, maternelle Jules Ferry de Xavier Pommeret (1973)

le par Estelle Doudet

Résumé

Lycée Thiers, maternelle Jules Ferry de Xavier Pommeret (1973) s’interroge sur les images de la Commune de Paris véhiculées, cent ans après l’événement, dans l’enseignement de la Cinquième République. L’article étudie le choix de lieux scolaires, maternelle et lycée. Ils permettent de critiquer le caractère partisan de l’éducation nationale, tout en donnant au théâtre un rôle pédagogique dans l’éveil des consciences des spectateurs. La pièce met également en lumière des personnages d’âge varié qui réagissent différemment à la Commune : représentants du savoir et de l’autorité ; enfants plus ou moins obéissants à l’instruction qu’on leur donne ; jeunes débattant de leur vision de l’histoire. Tous possèdent une dimension allégorique et sont engagés dans la lutte entre le savoir et l’ignorance. La Commune de Paris apparaît enfin dans une double perspective. Manuels et instructions officielles imposent le point de vue versaillais, tandis que le point de vue communard est passé sous silence. C’est peut-être en effet que la Commune vue par X. Pommeret est moins un objet d’histoire qu’une incitation à la vie et à l’action.

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Xavier Pommeret (1932-1991), écrivain et dramaturge, a été le premier directeur du Centre national dramatique des Amandiers (Nanterre) de 1974 à 1981. Sa pièce la plus connue, La Grande Enquête de François Felix Culpa, réalisée en collaboration avec Antoine Vitez (1968), est une dramatisation de son roman.
Lycée Thiers, maternelle Jules Ferry, rédigé entre 1969 et 1972, a été représenté en 1973 par la compagnie d’Anne Delbée, Les Brigands, à la Cartoucherie de Vincennes. La pièce est représentative du nouveau mouvement dramatique inspiré de mai 1968D. Bradby et A. Poincheval, Le Théâtre en France de 1968 à 2000, Champion, Paris, 2007, p. 219 et suivantes. En France, les échos entre la dernière révolte du XXe siècle et la dernière révolution du XIXe siècle ont fait de la Commune de 1871 un événement politique fondateur pour les écrivains des années 1970. Le théâtre engagé ouvre alors une réflexion sur la possibilité de re-présenter la Commune, aux divers sens de ce terme : la commémorer – ce qui fait courir le risque de la muséifier ; rendre vie à ses aspirations en les actualisant par le jeu dramatique – ce qui peut verser dans l’anachronisme. Lycée Thiers, maternelle Jules Ferry de Xavier Pommeret interroge la tension entre l’histoire et l’actualité, en mettant en scène un spectacle scolaire qui célèbre les fondateurs de la République, vainqueurs de la Commune. Sont par là révélées et dénoncées les valeurs de la société française contemporaine, inculquées par une éducation qui se veut, comme l’identité qu’elle contribue à construire, « nationale ».

Comme le suggère le sous-titre, la pièce se déroule en trois « thiers-temps », chaque épisode s’ouvrant et se terminant sur l’évocation des « pères fondateurs / Thiers, Jules Ferry »X. Pommeret, Lycée Thiers, maternelle Jules Ferry, Pierre Jean Oswald, Paris, 1973, p. 37 (fin de deuxième épisode), figures tutélaires des établissements scolaires mis en scène. Le rythme ternaire, ironiquement équilibré, incite à interpréter l’œuvre au prisme de la tragédie classique ou de la dissertation à la française, deux modèles d’un ordre où la société voit l’une de ses valeurs fondatrices.
Le premier épisode, « le temps des armées », s’ouvre sur les répétitions en mai d’une fête de fin d’année rehaussée par la venue annoncée du ministre de l’Éducation nationaleIdem, p. 14-15. Alors que les petites filles de la maternelle révisent leur leçon d’histoire sous la direction de l’institutrice, les élèves des classes supérieures commentent en plaisantant la cérémonie commémorative à laquelle ils devront participer. Les préparationnaires à Saint-Cyr (« la Corniche ») sont réticents à jouer en l’honneur de « pékins » (civils). Édouard de Paladines, désigné pour réciter le panégyrique de Thiers, se rend auprès de l’enseignant d’histoire Tolain, communiste et homosexuel notoire. Celui-ci déstabilise son interlocuteur en lui « dévoilant une partie »Idem, p. 30 de l’histoire de la Commune, dont il s’est gardé de faire état dans les ouvrages auxquels il doit sa carrière.
Le deuxième temps, « le temps des cerises », est celui de la révolte. Paladines rencontre Clio, nièce de Tolain et historienne. Les certitudes vacillantes du jeune homme, qui revendique une filiation gaulliste rejetant les mensonges de l’héritage républicain, cèdent face à l’amour qui l’unit à Clio. Les élèves de maternelle refusent de danser le french cancan pour « les ministres, les proviseurs, les parents d’élèves »Idem, p. 59. La révolte gronde dans les deux établissements.
Le troisième temps, « le temps du sang, du cent, le tant du sang », est celui de la reprise en main. Les jeunes élèves de maternelle acceptent de danser ; les préparationnaires élaborent des calculs tendant à minimiser les morts de la Commune. Paladines, malgré les avertissements de Clio, reste cependant ferme dans son dessein de scandaliser le public par un discours accusateur contre les fondateurs de la République. Il met sa menace à exécution et brise son épée. Évelyne du Camp, enseignante des petites classes, tue ce « frère dévoyé », dont elle était amoureuse.

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