L’Esprit communard dans La Saignée, de Lucien Descaves et Fernand Nozière (1913)
le par Nathalie Coutelet
Contrairement aux scandales suscités par Les Chapons et La Cage, La Saignée n’a guère produit de remous et a sombré dans l’oubli. Elle possède pourtant une dimension politique et sociale aussi importante que les précédentes pièces, mais date d’une période où la censure ne sévit plus autant et autorise de plus grandes libertés au théâtre. Toutefois, le choix du contexte communard ne laisse pas la critique indifférente : l’auteur Eugène Héros déplore qu’on ravive cette « lutte épouvantable que nous cherchons tous à oublier »Eugène Héros, « Nouvelles théâtrales », op. cit., de même que Félix Duquesnel, qui pense que « la plaie est encore saignante, mieux eût valu, peut-être, ne pas la rouvrir »Félix Duquesnel, « Les Premières », op. cit.. Adolphe Aderer soutient que « ce sont des souvenirs qu’il ne faut pas oublier » mais qu’il faut « n’en parler qu’avec une extrême prudence » car « l’auteur dramatique, qui s’adresse à des foules assemblées, du haut d’une scène qui, pour ainsi dire, grossit les paroles […], se doit à lui-même d’en user avec ménagements »Adolphe Aderer, « Premières Représentations », op. cit.. Eugène Héros est moins nuancé et prétend qu’il « y a des sujets qui ne se traitent pas au théâtre »Eugène Héros, « Nouvelles théâtrales », op. cit..
Il est difficile de définir la part de Nozière dans cette collaboration où l’on devine l’attachement de Descaves au thème communard et ses compétences dans l’évocation historique précise. L’intrigue familiale et amoureuse d’Antonine est-elle une concession faite à Nozière, au goût du public ou l’élément fictionnel destiné à fournir « l’intérêt et l’unité de la pièce »Adolphe Brisson, « Chronique théâtrale », op. cit. – Descaves, dans ses mémoires, ne fournit aucune précision au sujet de cette collaboration, alors qu’il explique ses relations amicales avec Maurice Donnay et Alfred Capus. ? La pièce, si elle est incontestablement nourrie de l’idéologie communarde, ne constitue ni une apologie, ni une réhabilitation. Les personnages sont nuancés, les faits sont racontés sans enjolivement ou parti pris outrancier.
Les réactions des critiques prouvent que le débat ouvert par l’enquête de La Revue d’art dramatique n’est toujours pas clos, quinze années plus tard. Considérée comme « un drame fort émouvant »Sales, « La Semaine dramatique », op. cit., « adroitement construite et jouée à la perfection »Edmond Stoullig, « La Semaine théâtrale », op. cit., La Saignée oblige les critiques à choisir leur camp. Ce ne sont plus les Versaillais et les communards, mais les partisans et les opposants au théâtre social et politique. Contrairement à La Nouvelle Revue, qui pense que « le temps qui calme tout a calmé les passions ardentes soulevées par la Commune de Paris »« Revue dramatique », dans La Nouvelle Revue, op. cit., l’histoire retracée par La Saignée ne peut être indifférente. La presse, unanimement, se désintéresse de l’analyse dramatique pour porter ses jugements sur la Commune. Si l’impartialité des auteurs sur le récit des événements historiques n’a pu être mise en question, c’est l’existence même de la Commune et, peut-être surtout, son esprit – qui pourrait guider à nouveau les masses – qui sont attaqués.
Nathalie Coutelet
Bibliographie
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