L’Esprit communard dans La Saignée, de Lucien Descaves et Fernand Nozière (1913)
le par Nathalie Coutelet
Résumé
La Saignée se présente comme le fruit de la collaboration entre un communard passionné, Lucien Descaves, et un auteur-adaptateur chevronné, Fernand Nozière. La pièce bénéficie de la documentation rigoureuse de Descaves dans la reconstitution des événements de la guerre franco-prussienne, du siège et de la Commune. Cette trame historique fidèle passe en revue des thèmes politiques et sociaux encore d’actualité au moment de la création, en 1913 : inégalités sociales et lutte des classes, misère, place des femmes dans la société, etc. Cependant, l’intrigue amoureuse et familiale fait également de La Saignée une sorte de mélodrame communard, avec héroïne injustement châtiée et récompensée au dénouement, triangle amoureux et fin heureuse en chansons. La presse, unanimement, s’est pourtant concentrée sur la Commune et sa critique reflète davantage ses positions idéologiques qu’esthétiques sur la pièce. Cette dernière révèle par conséquent le rapport que chaque journaliste entretient avec l’esprit communard, mais encore avec l’existence d’un théâtre social.
Lucien Descaves en 1913, lors de la création de La SaignéeLa pièce est créée le 2 octobre 1913 à l’Ambigu, avec Jean Kemm (Mulard), Blanche Dufrêne (Antonine), Armand Bour (père Gachette), Damorès (Charles Bécherel), Lorrain (Francœur), Basseuil (Raymond). Elle est publiée par La Petite Illustration, n°36, 1er novembre 1913, série Théâtre n°19., n’est pas inconnu du public. Son retentissant procès pour le roman Sous-Offs (1889), ses activités de dreyfusard, son élection à l’Académie Goncourt, le scandale suscité par sa pièce La Cage, interdite par la censure après les premières représentations (1898), entre autres, ont rendu son nom familier et, il faut bien le dire, l’ont entouré de relents sulfureux. Ce n’est pas le cas de son collaborateur, Fernand Nozière, critique dramatique respecté, dramaturge qui a composé l’année précédente l’adaptation du roman de Maupassant, Bel-Ami, la traduction de La Sonate à Kreutzer en 1910, ainsi que Le Baptême, en collaboration avec Alfred Savoir (1907), qui bénéficie d’une reprise dans son lieu de création, L’Œuvre, en 1913.
Descaves, à l’époque, a déjà co-écrit des pièces avec Maurice Donnay, Georges Darien et Alfred Capus Maurice Donnay et Alfred Capus sont ses amis bien avant la création des pièces La Clairière (1900) et Oiseaux de passage en 1904 (écrites par Donnay et Descaves) et L’Attentat en 1906 (avec Capus). Voir Lucien Descaves, Souvenirs d’un ours, Les Éditions de Paris, Paris, 1946.. Mais l’association avec Fernand Nozière peut sembler, à première vue, celle de la carpe et du lapin, un « étrange mariage de deux tempéraments qui, d’abord, apparaissent fort éloignés l’un de l’autre »André du Fresnois, « Notes de théâtre », dans La Revue critique des idées et des livres, 10 octobre 1913, n°132, tome 23 . Le thème de La Saignée, à n’en pas douter, provient de Descaves, passionné par l’histoire de la Commune, présente dans deux romans : La Colonne (1901) et Philémon, vieux de la vieille (1913). La pièce Les Chapons, écrite en collaboration avec Georges Darien (1890), était quant à elle située à la fin de la guerre de 1870, au moment où le siège commence.
Si le thème communard est récurrent chez Descaves, la part de Nozière se distingue peut-être plus nettement dans l’intrigue : une famille qui traverse les événements de 1870-1871, les Mulard, dont la fille, Antonine, aura à choisir entre un amoureux bourgeois (Raymond Duprat) et son ancien fiancé communard (Charles Bécherel). Nozière, en effet, n’a pas démontré de lien particulier avec la Commune.
Les sources consultées sont constituées principalement des titres de la presse de l’époque, afin de déterminer la réception de la pièce au sein des critiquesLa presse a été consultée dans les archives de la Bibliothèque Carnégie de Reims et sur Gallica. Le défrichage effectué n’est pas exhaustif, mais tente de refléter les diverses positions idéologiques des titres.. Elles permettent de croiser le contenu de La Saignée aux regards portés par les journalistes contemporains. L’œuvre se présente à la fois comme une évocation historique précise, un développement de thèmes politiques et sociaux liés au contexte communard, mais encore comme une sorte de mélodrame dans lequel l’héroïne, victime d’abandons, de la misère, de l’incompréhension, sort meurtrie, mais heureuse de cette suite d’événements tragiques.