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Événement le 18/05/2013 : Rencontre autour des représentations de la Commune de Paris

La Nouvelle Babylone : un essai d’écriture filmique de l’Histoire

le par Myriam Tsikounas

Résumé

En 1929, le Sovkino confie à une avant-garde cinématographique, la Fabrique de l’Acteur Excentrique (FEKS), le soin de réaliser un film sur la Commune parisienne de 1871. L’objectif de cet article est de comprendre de quelle manière ce collectif de comédiens, metteurs en scènes et techniciens audacieux, réussit à écrire de façon inédite cet épisode révolutionnaire que les Soviétiques des années 1920 considèrent comme le point de départ de leur propre histoire. L’enjeu est également de déterminer la façon dont la FEKS, qui choisit de reconfigurer le passé par l’allégorie plus que par l’analogie, parvient à recréer l’atmosphère parisienne de la « Fête impériale » en s’appuyant sur la production artistique de l’époque : roman, dessin de presse, peinture, music hall et opérette. La finalité est également de saisir par quel tour de force la FEKS arrive, par la seule force du montage et de la dramaturgie, non seulement à exprimer l’irréversibilité de l’événement mais à faire oublier aux spectateurs les invraisemblances du récit pour leur donner envie de rallier la marche du socialisme ?

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La Nouvelle Babylone, sous titrée Épisode de la guerre franco-prussienne et de la Commune de 1871, est une œuvre soviétique muette, réalisée en 1929 par Grigori Kozintsev et Leonid Trauberg, sur un synopsis de Piotr Bliakin alors responsable de la société de production cinématographique d’État Sovkino. À l’exception de l’actrice Elena Kouzmina, imposée par Bliakin, tous les comédiens et techniciens sont membres de la Fabrique de l’Acteur Excentrique (FEKS), un atelier fondé à Petrograd, le 9 juillet 1922, par quatre amis qui avaient signé, sept mois plus tôt, le Manifeste de l’excentrismeManifeste signé, le 5 décembre 1921, par Sergueï Youtkévitch, Georgi Krijitski, Grigori Kozintsev et Leonid Trauberg., un texte en forte résonance avec le manifeste italien de Marinetti et Corra sur le théâtre synthétique futuriste.
Le film, dont le tournage à Leningrad et Odessa avait débuté en mai 1928, sort en salles le 18 mars 1929. Si cette date commémore le début de « la guerre civile en France », elle marque également la fin d’une époque et d’une aventure artistique originale puisque le collectif FEKS se dissout à cette occasion, estimant que la nouvelle consigne officielle, « un art pour des millions », n’autorise plus les expériences futuristes. Or, ces expérimentations, limitées dans les précédentes fictions à un catalogue de procédésAvant d’affronter le cinéma, la FEKS avait fait un détour par le théâtre et mis successivement en scène Le Mariage, Commerce extérieur sur la Tour Eiffel et Une Représentation américaine des FEKS. En 1924, elle réalise Les Aventures d’Octobrine, puis Michka contre Youdénitch et La Roue du diable, trois divertissements sans prétention au long desquels s’enchaînent numéros de cirque, de danse et de pantomime sans aucun lien avec l’intrigue principale. À partir du Manteau, transposition de la nouvelle de Gogol, puis de SVD (sous-titré Neiges sanglantes), consacré à la révolte des Décabristes, la FEKS s’interroge sur la manière d’écrire filmiquement l’histoire., avaient pris, dans La Nouvelle Babylone, une toute autre ampleur : en exploitant au maximum les potentialités du langage cinématographique, l’équipe avait réussi à écrire de façon inédite cet épisode révolutionnaire français que les Soviétiques des années 1920 considéraient comme le point de départ de leur propre histoire. Comment cette avant-garde, soucieuse de reconfigurer le passé par l’allégorie plus que par l’analogie, parvient-elle à recréer l’atmosphère parisienne de 1870-71 en s’appuyant sur les arts les plus populaires de l’époque : roman, dessin de presse, peinture, music hall et opérette ? De quelle manière la FEKS arrive-t-elle, par la seule force du montage et de la dramaturgie, à exprimer l’irréversibilité de l’événement ? Et par quel tour de force fait-elle oublier aux spectateurs les invraisemblances du récit et leur donne-t-elle envie, quelles que soient leurs convictions politiques préalables, de rallier la marche du socialisme ?

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