Commune de Paris d’André Benedetto (1971) : une lecture en trois temps
le par Philippe Ivernel
Résumé
I Le lecteur qui prend en main Commune de Paris, ce livre publié en 1971 dans la série « Théâtre » des éditions Jean Pierre Oswald sous la signature d’André Benedetto, directeur du Théâtre des Carmes en Avignon, voit s’offrir à lui trois types de texte, induisant trois types d’approche. La couverture (doc. 1), d’abord, [...]
I
Le lecteur qui prend en main Commune de Paris, ce livre publié en 1971 dans la série « Théâtre » des éditions Jean Pierre Oswald sous la signature d’André Benedetto, directeur du Théâtre des Carmes en Avignon, voit s’offrir à lui trois types de texte, induisant trois types d’approche.
La couverture (doc. 1), d’abord, comporte trois étapes. En haut le titre, Commune de Paris, en majuscules d’imprimerie, écarlates sur fond blanc, ignore l’article défini. Un mot de passe, un mot d’ordre ? Un cri, un appel ? Un souvenir, un possible avenir ? Sous ce titre, la photographie en rouge et noir, ombrée, de deux très jeunes manifestants de rue, théâtralement costumés en républicains, avec leur tunique. L’un semble avoir une cigarette aux lèvres, il lève les yeux vers le ciel, tandis que son alter ego baisse au contraire la tête, ses cheveux cachent son visage. Sous cette photographie indexée au présent, une légende répond au titre, mais en l’inversant d’une certaine manière. Il s’agit d’une définition de dictionnaire (trop belle pour être vraie ?), disposée comme suit à peu près :
Commun, du lat. communis, adj., se dit de toute chose à laquelle chacun peut participer. Exemple : la commune de Paris
La Commune de Paris, cette fois, s’écrit en minuscules et retrouve son article défini. L’idée Commune de Paris, dans sa fière abstraction, cède le pas, en quelque sorte, à une réalité proche, familière, mais multiple, surtout multiple : prête à évoluer en fonction des apports de tout un chacun, et donnant lieu, de ce fait, à une construction ininterrompue, mais aussi bien discontinue, que porterait un peuple en éveil (que compromettrait un peuple en sommeil ?). Une utopie réaliste en somme ? Ayant à faire son chemin à travers les contradictions, au fil d’une expérience ou d’une expérimentation ouverte, donc en mesure de revenir sur elle-même.
Cette page de couverture, deux textes brefs encadrant une image, semble disposée comme un emblème de la Renaissance ou du Baroque. L’image prend un tour allégorisant : image de pensée, image pensante, image à penser, deux fois lue, et de telle sorte, ici, que paradoxalement, la légende en bas de page déstabilise le titre en haut de page.
Mais passons au verso de couverture (doc. 2) : dans le rouge de la même manifestation de rue d’où se détachait la photographie des deux adolescents, explose en lettres noires l’inscription stupéfiante (ou tonifiante ?) que l’on pouvait lire le 24 mai 1871, précisément, sur les murs de l’École des Beaux-Arts, à Paris : « Nous serons tous fusillés, mais nous nous en foutons. ». Insolence sublime d’une insurrection, affirmée, affirmative, jusqu’à l’ultime moment du massacre des insurgés. Cette insolence paraît à la mesure de ce qu’André Benedetto appelle, quant à lui, une « presque tragédie ».
Tout est dans le « presque », un écart faussement minime et vraiment significatif, ménageant une sortie hors de toute complaisance idéologique à l’égard de ce qu’il est convenu d’appeler le destin. Dès lors le presque héros qu’est le militant de la Commune ne cédera pas au règne de la terreur et de la pitié, pas plus qu’il ne reconnaîtra la presque suprématie de ce qui prétend l’anéantir. C’est la commune tout entière, en fait, qui s’inscrit là dans l’opposition à toute sublimation ou intimidation de et par la tragédie, quand elle se voit évoquée, sur une pancarte brandie au verso de couverture, telle « une grande femme qui exprime quelque chose de si fort qu’on la tue et qu’on ne peut pas la tuer ». L’oxymore joue ici dans le registre physique, politique et métaphysique d’un seul et même élan, échappant à tout enfermement. « Soixante-douze jours qui ébranlèrent la conscience », dit une dernière citation surmontant cette pancarte sur ce verso : elle invite à méditer le théâtre de Benedetto sous le signe de cet ébranlement, à en dialectiser les aspects contrastés, liant l’ordinaire à l’extraordinaire.