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Événement le 18/05/2013 : Rencontre autour des représentations de la Commune de Paris

Sur Place Thiers d’Yvon Birster (1970)

le par Marjorie Gaudemer

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La Fable
L’action dramatique consiste en une « chronique » – une histoire imaginaire élaborée, avec des personnages fictifs, sur un arrière-plan de faits réels. Bien que principalement dialoguée, elle est divisée en chapitres, et cette référence au romanD’autres composantes du texte renvoient au récit : le personnage du Narrateur, chargé de la présentation des dates, lieux, personnages et situations ; l’épilogue, ayant la forme d’une prolepse externe., à un genre jugé plus populaire que le théâtre, à un genre qui, à l’époque restituée, se diffusait d’ailleurs massivement, indique le désir de l’auteur de s’adresser au plus grand nombre.
À Graville, en février 1870, Amanda, ouvrière de filature, et sa Marraine se présentent, pour enregistrer la déclaration de décès du petit frère, auprès de l’Instituteur, secrétaire de mairie (doc. 2). Celui-ci, très paternaliste, propose à Amanda de la placer au château comme domestique. L’ouvrière, refusant la soumission, décline, mais, devant l’insistance de la Marraine, finit par accepter, malgré sa révolte intérieure (chap. 1 – « L’Ouvrière »). Six mois plus tard, Amanda, traitée de voleuse pour avoir mangé « une pomme du goûter des enfants », « s’est enfuie du château » ; l’Instituteur, furieux et arcbouté sur le proverbe « Qui vole un œuf, vole un bœuf. », lui ordonne de se repentir, mais Amanda se rebelle contre les possédants – « je n’aurai plus de maître » – et décide d’aller vivre à Paris (chap. 2 – « La Révolte »).

(doc. 2) chap. 2 – source : http://www.guittier.free.fr/

Arrivée à destination, Amanda rencontre, place de la Bastille, un ouvrier menuisier, Charles-François. Tous les deux sont embarqués, avec le peuple parisien, dans la tourmente des évènements, de portée nationale, survenant entre juillet 1870 et mars 1871 : la guerre contre la Prusse, la défaite de Napoléon III, la proclamation de la République, la création d’un Gouvernement de la Défense nationale, la montée de l’opposition révolutionnaire, la capitulation du Gouvernement, l’installation de celui-ci à Versailles, l’insurrection du 18 mars et la proclamation de la Commune de Paris (chap. 3 – « La Canaille »).
Envoyé comme délégué dans la région havraise, afin « que la province se libère comme Paris », Charles-François se retrouve, fin avril 1871, chez la Marraine pour lui donner des nouvelles d’Amanda, désormais ambulancière d’un bataillon de la Garde nationale. Avec elle, il s’entretient de la situation : le peuple parisien, libre, est heureux, mais la province « est tenue » par les bourgeois, forts des « calomnies » propagées dans la presse anti-communarde et des « mesures policières » prises contre les travailleurs. La Marraine, encore qu’elle ne partage pas l’optimisme de son hôte et tout en le mettant en garde contre la répression, lui signale où il pourra, au Havre, rencontrer les travailleurs (chap. 4 – « L’Envoyé de la Commune »).
Sur les quais du Havre, Charles-François croit rallier un soldat tout juste libéré par Bismarck, mais le militaire, rejoignant par intérêt personnel la lutte contre les fédérés, l’agresse. L’envoyé de la Commune est alors secouru par Lajoie, un bateleur « descendu en province pour y mettre de l’esprit ». Ceux-là sympathisent, et, lorsque Charles-François l’enjoint à l’aider à « proclam[er] la Commune du Havre », Lajoie le persuade d’agir prudemment et avec habileté en prenant l’habit du comédien, en jouant avec lui sur la place Louis XVI (chap. 5 – « Le Soldat »).
Sur ladite place, deux bourgeois, l’un républicain, l’autre conservateur, font affaires et discutent des élections municipales du 30 avril 1871 : leur divergence politique apparaît nettement à travers leur vision de la Commune, l’issue qu’ils préconisent respectivement pour résoudre le conflit intérieur – la conciliation ou la répression. Puis le Bourgeois républicain, candidat de la liste du Comité central républicain, prononce son « discours électoral ». En raison de mesures favorables aux patrons et par peur de la liste concurrente, celle du Comité central républicain de Solidarité composée de travailleurs, le Bourgeois conservateur lui donne sa voix. Jusque-là auditeur, Charles-François intervient alors, pour appeler à « l’union de tous les républicains ». Cependant, ses revendications contre la propriété, le capital, l’exploitation, amènent le Bourgeois républicain à donner l’accolade à son homologue de classe. Les deux bourgeois encadrent alors l’envoyé de la Commune, l’assaillent, mais, à nouveau, le bateleur s’interpose, couvre son ami, et annonce le spectacle de rue (chap. 6 – « Les Bourgeois »).
La revue (tel est le genre du spectacle) s’ouvre sur un tableau allégorique de la Commune (une femme), protégée par le peuple en armes (un garde national) et l’armée elle-même (un soldat) (doc. 3). Sur ce fond, la proclamation de la Commune de Paris, à la suite du succès électoral du 26 mars 1871, est rappelée, ainsi que sa signification : l’autogestion (« une classe ouvrière qui se gouverne elle-même »). Puis, grâce à la mise à contribution, comme acteurs, des deux bourgeois-spectateurs, est représenté le face-à-face entre, d’un côté, la Commune et, de l’autre, Thiers, l’Assemblée, la Province. Suppliée par l’Assemblée, haineuse, apeurée et lâche, Thiers, incarné par le Bourgeois conservateur, agite « le spectre rouge » et décide, adulé par les députés en proie désormais à la panique, de faire couler le sang du peuple parisien. La Commune se tourne alors vers la Province qui, jouée par le Bourgeois républicain, essaie d’arbitrer en se montrant prêt à accepter l’amputation de la République. Mais la Commune, choquée par ces funestes concessions, se soulève (ses gardiens se positionnent respectivement contre Thiers et la Province) et somme la Province de choisir son camp. Le Bourgeois républicain – acteur, effrayé, fuit avec le Bourgeois conservateur, en appelant au secours. Le spectacle s’achève sur le chant « Vive la Commune », et le départ précipité de la troupe, pour échapper à la police (chap. 7 – « La Parade »).

(doc. 3) Allégorie de l’insurrection du peuple parisien, chap. 7

Au Havre, les travailleurs ont perdu les élections municipales. Charles-François et Lajoie, début mai 1871, sont réfugiés chez la Marraine. La situation alimente le pessimisme de celle-ci, sans troubler néanmoins l’espoir, tenace, de Charles-François : selon lui, les mobilisations, même non couronnées immédiatement de succès, répandent l’idée et finiront par soulever la province – « le temps travaille pour nous ». Néanmoins, son compère est du même avis que la Marraine : « Paris doit vaincre seul », et Charles-François s’offusque. Lajoie lui demande alors de le conduire à la capitale pour connaître Paris libéré, vivre la Commune. Les deux compagnons de route quittent aussitôt leur hôte avec une chanson dédiée à Amanda qu’ils vont retrouver (chap. 8 – « Le Temps des cerises »).
Lorsque Charles-François et Lajoie arrivent à Paris, le 22 mai 1871, ce n’est pas une ville « en liesse » qu’ils découvrent : avec l’entrée des Versaillais, la capitale est « sur le qui-vive, hérissée de barricades ». La terrible répression de la Commune, ordonnée par Adolphe Thiers, commence, et les deux hommes, après plusieurs jours, sont arrêtés avec Amanda. Celle-ci est alors internée quelques mois à Satory avant d’être libérée ; Charles-François et Lajoie, quant à eux, sont envoyés au bagne, en Nouvelle-Calédonie (chap. 9 – « La Semaine sanglante »).
Huit ans ont passé. En 1879, au Havre, Charles-François et Lajoie rentrent de déportation : les retrouvailles avec la Marraine et Amanda sont chaleureuses – Charles-François et Amanda, toujours amoureux, forment un couple. La répression sanglante de la Commune, avec l’amnistie, n’est pas désavouée par la République française en place ; Amanda en témoigne : on a inauguré, au Havre, « une rue Thiers et une place Thiers » – « C’est tout un programme […] », commente Charles-François. Mais Amanda se félicite de la relance du mouvement ouvrier et socialiste, preuve que l’espoir social n’est pas mort. Lajoie annonce son départ, et quitte ses amis en offrant un petit spectacle d’adieu (chap. 10 – « Les Retrouvailles »).
Prenant cette fois la forme d’une déclamation à plusieurs voix, le spectacle scande tout du long la survivance de l’utopie sociale, malgré les fusillés, prisonniers et déportés en nombre. Après un hommage aux personnalités de la Commune, victimes de la répression – Flourens, Delescluze, Varlin –, il affirme la résolution et la ténacité du peuple, prédit, en reprenant le poème L’Internationale d’Eugène Pottier, la prochaine révolution des travailleurs (chap. 11 – « La Dernière Parade »).

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