Notre Commune – La mémoire en place publique
le par Les Lorialets
La génèse du spectacle
Armés de ces désirs, et fraîchement débarqués de trois années de formation aux arts et techniques de l’acteur, nous avons commencé à travailler sur un texte de Bertolt Brecht traitant de la Commune, Die Tage der Commune (Les Jours de la Commune) que nous avions pour l’occasion retraduit avec un camarade comédien, Florian Westerhoff. Après un travail de recherche avec une douzaine d’acteurs, ayant abouti à une lecture publique, il nous est apparu évident que si nous voulions raconter la Commune aux spectateurs d’aujourd’hui, nous ne pouvions faire l’impasse de ce que nous sommes. Comme Brecht autrefois écrivait pour ses contemporains, dans un contexte idéologique, théâtral, politique tout à fait différent, il nous fallait ré-écrire à notre tour cette histoire et tenter de le faire pour notre époque.
C’est ce que nous avons commencé à réaliser en janvier 2010, après une année de recherches, dans les profondeurs d’un garage en bordure du canal Saint-Martin.
Durant cette première semaine, nous sommes revenus à l’essentiel de notre démarche, et sans doute à l’essence même de la création : un espace vide et un acteur, une caisse d’accessoires, quelques costumes et une histoire.
Caroline Panzera, se jetant avec enthousiasme dans le grand bain de la mise en scène, et Mathieu Coblentz, habillé de quelques fripes et d’un masque de farces et attrapes, lui racontant sa Commune. Voilà comment a débuté « Notre Commune ».
La rue, espace politique et poétique
Dès les premiers jours de répétition, une évidence nous est apparue : « c’est dans la rue que devait se raconter notre spectacle ». L’Univers protéiforme du spectacle de rue ne nous était pas familier, mais après les premiers pas de notre personnage et les premières lignes de notre écriture, nous étions convaincus que cette parole devait absolument résonner dans l’espace public et, si notre but était atteint en retour, donner au public matière à raisonner.
L’Histoire étant la propriété de tous, la gratuité, la mixité sociale, la liberté de mouvement qu’offre l’espace public, font de la rue le lieu du spectacle par excellence.
La rue est à la fois espace politique et poétique. C’est dans la rue que naissent les peuples, dans la rue que débutent les révolutions.
Et dans cette époque complexe que nous traversons, où les inégalités se creusent, où le progrès humain n’est plus une évidence, où le chiffre dicte sa loi aux lettres, il apparaît que le retour à la rue est aussi un retour aux sources de notre Art.
Les mots…
Il nous aura fallu quatre semaines, étalées tout au long de la saison 2010-2011, pour écrire le texte de notre spectacle. Nous ne voulions pas, comme nous disons souvent entre nous, « ré-inventer la poudre » : d’autres ont vécu la Commune de Paris et l’ont raconté avec bien plus de précisions, de sincérité et de génie que nous ne saurions le faire.
Nous avons donc allégrement puisé à leurs fontaines et arrosé de leurs écrits notre jardin.
Leurs noms sont pour beaucoup connus, ce sont André Léo, Prosper-Olivier Lissagaray, Victor Hugo, Louise Michel, Eugène Pottier et les journalistes du GrelotLe Grelot est un journal satirique paru entre 1871 et 1907.. Nous les saluons tous fraternellement, car bien que morts, ils continuent de vivre et de faire vivre par leurs mots admirables cette innombrable foule des sans-noms disparus en 1871.
Cela dit, nous ne voulions faire de notre spectacle ni une commémoration, ni une leçon d’histoire supplémentaire sombrant trop facilement dans une tribune politique à la gloire du drapeau rouge et des martyrs de la République sociale.
Nous croyons, comme disait Brecht avant nous, que notre tâche consiste tout d’abord à offrir un divertissement, si possible à rendre visible un rêve et à faire entendre une histoire, critique peut-être mais surtout drôle, poétique, imaginative et stimulante pour le spectateur.
Quelles que soient les convictions profondes qui nous poussent à cette pratique qu’est la création de spectacles, quels que soient nos engagements et nos croyances, nous ne sommes pas et ne devons pas être des porte-bannières. Pour le dire autrement, le bouffon qui se prend pour le roi n’est plus rien. Il doit rester le bouffon pour être libre de se moquer du roi, il doit se situer ailleurs, dans la virtuosité, sur un fil…
Nous aussi, nous cheminons sur un fil tendu entre la tragédie de l’histoire et la drôlerie du théâtre de tréteaux.