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Événement le 18/05/2013 : Rencontre autour des représentations de la Commune de Paris

La Commune ici et maintenant. Le Printemps 71 d’Arthur Adamov (1960)

le par Nathalie Lempereur

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La Commune n’est pas morte. De la Commune comme premier gouvernement ouvrier, répétition générale de la Révolution russe aux années 1960 : faire vivre la Commune au présent.

Si la sympathie de l’auteur va clairement aux communards, il n’a pas cherché pour autant à idéaliser leurs actions. La pièce peut même apparaître en creux comme un catalogue des erreurs commises afin d’en tirer des leçons (politiques) pour le présent. Adamov peut expliquer à André Gisselbrecht dans La Nouvelle Critique : « La pièce pourrait, en un sens, s’intituler Les Erreurs politiques de Robert Oudet (tendance modérée, Cri du Peuple, Vallès). Robert Oudet croit par exemple que le 19 mars Le Figaro ne doit pas être saisi, alors que Le Figaro est bel et bien l’un des organes principaux des comploteurs, et que Paris n’est pas encore complètement aux mains des communards »La Nouvelle Critique, n°123, février 1961. Les erreurs mises en valeur semblent accréditer un certain radicalisme de l’auteur qui se montre intransigeant envers les modérés et les partisans d’une certaine conciliation. Adamov épouse alors une tendance marxiste, sans jamais d’ailleurs adhérer au Parti communiste, contrairement à sa femme, Jacqueline Autrusseau, qui prend sa carte en 1958.
La question de la liberté de la presse est un des débats importants, qui marque une grande partie du premier acte. Dans le Tableau II éclate un débat entre Robert Oudet, prêt à respecter son idéal de « liberté sans rivages » (Vallès« Prend parti pour la liberté absolue de la presse. « La liberté sans rivages » écrit-il. Comme si dans Paris, pourri d’espions, et où un gouvernement ouvrier prenait le pouvoir pour la première fois, on pouvait laisser paraître par exemple Le Figaro ou Le Gaulois, qui passaient leur temps à comploter au profit de Versailles ! Absurde. Et même criminel. » (A. Adamov, La Commune de Paris. 18 mars-28 mai 1871, anthologie, op. cit., p. 79)), et le personnage de l’Hercule :

Tu n’as pas honte, citoyen Oudet ? Quoi, tu veux… que Le Figaro, qui nous a toujours traités de viande à bagne… mais si jamais vous réussissiez à faire reparaître son canard [celui de M. de Villemensant], Vallès ou toi, ou le Comité central lui-même, un sergent et sa section, sans demander d’ordres à personne, sauteraient sur ces empoisonneurs-là, et leur brûleraient la cervelle dare-dare.

Plus largement, la question des libertés en temps révolutionnaire est posée. À côté de la liberté de la presse est questionnée la liberté de circuler : Adamov montre « qu’une des fautes de la Commune a été de laisser circuler les Versaillais dans Paris, de ne pas avoir pris des mesures suffisantes pour les en empêcher lorsque cela pouvait être réalisé, de faire exécuter des gens secondairement responsables »Témoignage chrétien, 11 avril 1963. Dans la pièce, c’est Robert Oudet, le modéré, qui laisse déguerpir l’Abbé et Anatole de Courmont. Plus tard, il doutera fortement de ce choix :

C’est idiot, superbement idiot, mais je me dis sans arrêt que cet abbé… je ne sais plus son nom ; (amer :) eux retiennent les noms, nous pas… Oui, je me dis que cet abbé, qui grâce à mes bêtises court maintenant, comme il veut, où il veut… pourrait très bien demain moucharder… faire arrêter… je ne sais pas… Pierrot, par exemple.Le Printemps 71, p. 259-260

Cette nécessité de contrôler la capitale et de ne pas laisser s’échapper les « traitres » est évoquée dès le début de la pièce, après l’assassinat des généraux, dans la bouche de Jeanne-Marie : la première chose à faire aurait dû être de poursuivre les « fuyards »Idem, p. 109. L’auteur semble également appuyer des mesures plus contestées prises par la Commune, comme le décret des otagesPar ce décret du 5 avril 1871, la Commune faisait de toutes personnes prévenues de complicité avec le gouvernement de Versailles des otages et prévoyait que pour chaque partisan de la Commune exécuté, trois otages seraient abattus. , par la voix du blanquiste Tonton : « En tout cas, si la Commune, au lieu de… légiférer, avait fait son devoir, nous autres, on aurait été prêts. Mais, pensez-vous ! Même pas foutue d’appliquer le décret sur les otages, notre bonne Commune de Paris »Le Printemps 71, p. 247.

La question d’un certain défaut d’organisation et surtout d’un cruel manque d’argent est un autre axe important. À l’opposé de Robert Oudet, le blanquiste Pierre Fournier est un personnage plus clairvoyant, qui, à différentes reprises, pointe certaines erreurs ou faiblesses de la Commune. Ainsi, alors que la barricade du pont de Neuilly est tombée et que l’un des gardes parle de trahison pour expliquer cette défaite, Pierre Fournier a cette réplique forte : « Non, même pas. C’est plutôt parce que la Commune, quand il s’agit d’organisation… »Le Printemps 71, p. 170. Puis il rappelle quelques répliques plus loin : « À Versailles ! Mais on devrait y être depuis deux semaines déjà, à Versailles ! On aurait dû et on aurait pu ! »Idem, p. 171.
Plus loin dans la pièce, alors qu’un « vieil employé » vient voir Tonton et Pierre Fournier à la Commission municipale du Ve arrondissement pour déplorer qu’« on continue encore à [leur] retenir tous les mois une partie de [leur] salaire… », Pierre Fournier répond : « Tu peux compter sur nous, vieux, et très vite ». Puis, alors que le demandeur est parti, il confie à Tonton : « Pauvre Commune, surtout, qui après deux mois de pouvoir n’a même pas encore fait un décret qui… Pourquoi ai-je menti à cet homme ? Pourquoi lui ai-je assuré que les choses ne traîneraient pas, alors que je sais pertinemment qu’elles traîneront ? »Idem, p. 206-207. D’autres exemples abondent, comme cette réplique : « Il est inadmissible, absolument inadmissible qu’il n’y ait même pas de barricades autour de l’Hôtel de ville. Pourquoi la Commune n’a-t-elle pas donné des ordres ? »Idem, p. 231.
La « lancinante question d’argent »J. Rougerie, Paris insurgé, la Commune de 1871, op. cit., p. 48 ressort dans la pièce. C’est ainsi que Mémère offre des cuillères en argent à la commission municipale de la mairie du Ve « Pour que la Commune puisse payer leur trente sous aux gardes nationaux »Le Printemps 71, p. 155. Elle explique en partie le défaut d’organisation. Elle met surtout en débat la question de trouver un financement pour la Commune. En cela, la non-occupation de la Banque de France est désignée comme une des erreurs majeures de la Commune. Il est certain qu’Adamov a fait sien le jugement de Lissagaray qui déjà s’indignait :

Toutes les insurrections sérieuses ont débuté par saisir le nerf de l’ennemi, la caisse. La Commune est la seule qui ait refusé. Elle abolit le budget des cultes qui était à Versailles et resta en extase devant la caisse de la haute bourgeoisie qu’elle avait sous la main. Scène d’un haut comique, si l’on pouvait rire d’une négligence qui a fait couler tant de sang.Cité par B. Noël, Dictionnaire de la Commune, Mémoire du livre, 2001 p. 74-75.

La question de l’occupation de la Banque de France est abordée à plusieurs reprises dans la pièce. Le blanquiste Pierre Fournier apparaît ici moins clairvoyant face à l’Internationaliste Sofia qui considère que c’est la première chose à faireLe Printemps 71, p. 107. Des personnages peuvent eux-mêmes reconnaître leurs erreurs à ce sujet comme Jeanne-Marie, qui conviendra : « On a tous fait des fautes. Moi la première ; si j’avais osé occuper la Banque, ils n’auraient jamais, jamais… osé occuper Paris ».

Interdire la presse d’opposition, poursuivre les ennemis et leur interdire de circuler dans Paris, occuper la Banque de France, respecter le décret des otages, refuser le manifeste de la minoritéLes minoritaires risquèrent de « compromettre la Commune par des discussions intellectuelles, qui, à ce moment-là – les Versaillais approchaient de Paris – étaient, pour le moins, déplacées. » (A. Adamov, La Commune de Paris. 18 mars-28 mai 1871, anthologie, op. cit., p. 9).… tout ce qui aurait dû être des priorités semble se porter en écho à l’engagement d’Adamov au tournant des années 1960. Certaines erreurs de Vallès face au radicalisme d’un Rigault ? Ces aspects semblent en tout cas justifier aussi et surtout un certain radicalisme de l’auteur dans son engagement présent. Il est intéressant de voir ainsi en quoi se retrouvent dans sa pièce ses opinions politiques, l’atmosphère dans laquelle il baigne à travers son ralliement au communisme… Comme l’indique d’ailleurs Paul Lidsky, dans la postface de son ouvrage Les Écrivains contre la Commune, « Adamov en 1961 rend compte autant de l’atmosphère encore stalinienne et dogmatique de l’époque qu’il peint la Commune. Il donne une place prépondérante à deux héroïnes des « pays de l’Est » Polia polonaise, et Sofia, étudiante russe, et inscrit sa Commune comme une « répétition générale » de la Révolution russe »P. Lidsky, Les Écrivains contre la Commune, La Découverte, Paris, 2010, p. 184. Faire de la Commune le point de départ aboutissant non seulement à la Révolution russe de 1917 mais également à l’extension du communisme est un autre objectif de la pièce. Ces femmes, internationalistes, les plus engagées de la pièce dans la défense de la Commune, présentes en Province, ont un rôle primordial. Sofia, vêtue en religieuse à la dernière scène, tente d’échapper aux fusillades, et envisage de se rendre à Londres. De manière très discrète, elle reste celle qui porte un dernier espoir alors que les forces versaillaises pénètrent dans les maisons…
Pour Adamov, revenir à la Commune permet de partir d’un moment fondateur : « Le plus grand exemple du plus grand mouvement du XIXe siècle… L’embryon du pouvoir soviétique. » (Lénine). Ce dernier, avec des textes de Liebknecht, Marx, Engels, forme d’ailleurs la dernière partie de l’anthologie d’Adamov sur la Commune de Paris. La Commune apparaît bien comme la matrice de la révolution d’octobre 17, et qui se prolonge jusqu’aux années où l’auteur écrit, comme l’indique l’« Épilogue » : « La carte représentant Paris et sa banlieue a disparu. Elle est remplacée par une carte des cinq continents sur laquelle les pays socialistes et progressistes sont colorés de rouge. Tandis que le rideau se baisse, on entend, très forte, L’Internationale. ». Sa réflexion sur les erreurs rejoint certaines analyses de Lénine qui peut dire en 1905 : « Plus la Commune de Paris de 1871 nous est chère, moins nous pouvons nous référer à elle sans analyser ses fautes et ses conditions particulières […]. Sous ce nom est entré dans l’histoire un mouvement ouvrier qui n’a pas su et n’a pas pu résoudre les tâches qui lui incombaient ». Après 1917, Lénine observe alors plutôt les réalisations que la Commune a projetées mais n’a pas réussies : si l’on prend le pouvoir, il s’agit d’aller plus loinG. Haupt,, « La Commune comme symbole et comme exemple », Le Mouvement social (Paris), n°79, 04-06/1982, p. 213. L’on sent bien chez Adamov ce sentiment qu’il faut continuer à se battre et que la Commune est un premier pas capital pour une série de combats et de victoires. Alors que le Guignol IX commence par cette phrase de M. Thiers : « Nous avons écrasé l’hydre infâme du communisme. Leurs cadavres sanglants serviront de leçon. »Le Printemps 71, p. 263, Adamov montre la réussite de celui-ci 90 ans plus tard.
Une formule anachronique dans sa pièce donne la clé de la vision de la Commune qui y est défendue. Nous sommes le 22 mai, au début de la Semaine sanglante, quand Jeanne-Marie, proclame : « Si on avait un commandement unique, un parti unique, on n’en serait pas là »Ibid., p. 232. Nous sommes bien là dans l’aspect équivoque de la mémoire de la Commune de Paris, la manière d’interpréter la Commune. Cette phrase d’Adamov semble faire écho à une certaine analyse de la Commune : « La brochure de Trotski intitulée La Commune de Paris et la Russie des soviets, traduite en France en 1921, devient la matrice de lectures nouvelles qui mesurent désormais la Commune à l’aune nouvelle de l’expérience soviétique pour conclure aux erreurs et aux insuffisances de la Commune à laquelle il a notamment « manqué pour réussir » un parti. »D. Tartakowsky, « La Commune  » Mémoires vives » », dans La Commune de 1871. L’Événement, les hommes et la mémoire, op. cit., p. 324. Il semble qu’Adamov ait dû aussi se confronter au problème du « mythe »Idem de la Commune. Ainsi, Émile Tersen peut écrire au sujet de la pièce d’Adamov : « Le vocabulaire ne détonne pas ; à une réserve près, l’emploi de l’expression « parti unique » m’a heurté, car elle n’apparaît jamais dans les écrits et les propos des communards et elle ne correspond pas non plus à nos vues actuelles. »É. Tersen, « à propos du Printemps 71 d’Arthur Adamov (le point de vue de l’Histoire) », L’Humanité, 17 mai 1963.

La Commune apparaît comme modèle pour l’auteur ; alors qu’en France le pouvoir court le risque de l’arbitraire pour celui qui dénonce le pouvoir personnel de De Gaulle. Adamov veut faire de l’écriture et de la représentation de sa pièce un acte politique, alors qu’il multiplie, sans nuances, les analogies entre la Commune et le tournant des années 1950-1960 : « Quant à la gauche versaillaise, il est évident que c’est elle qui porte les plus grandes responsabilités. Nouveau, n’est-ce pas ? »A. Adamov, La Commune de Paris. 18 mars-28 mai 1871, anthologie, op. cit., p. 160, « Il fallait aussi sans doute les massacres coloniaux pour se rappeler que la même bourgeoisie, en mai 71, faisait massacrer le prolétariat parisien »Nouvelle Critique, n°123, février 1961. Ou encore : « Bien sûr, les guignols du Printemps 71 ne sont pas sans avoir quelque rapport avec le « Théâtre de société » et la Cause incarnée (en d’autres termes, le général De Gaulle) n’est pas si loin – on pouvait s’en douter – de monsieur Thiers. Et c’est toujours aussi, pour reprendre une formule banale mais vraie, le combat des mêmes contre les mêmes »IMEC, ADM 3.3, tapuscrit. C’est ainsi, que dans une certaine tradition du « Paris rouge », Adamov met en scène un certain Paris mythique face à un même ennemi, la bourgeoisieJ.-P. A. Bernard, Paris rouge. 1944-1964. Les Communistes français dans la capitale, Champ Vallon, 1993, notamment p. 16-17, comme l’indique par exemple, cette phrase d’Adamov dans un article publié pendant les représentations de la pièce en 1963 : « Du 12 juin 1871 au 8 février 1962 : Charonne encore »A. Adamov, « Le Mur des fédérés encore, toujours », France nouvelle, 22 mai 1963.

Il est intéressant de noter qu’Adamov avait même songé à intégrer un personnage algérien dans sa pièce afin d’établir un lien direct entre les bourreaux d’hier et ceux d’aujourd’hui.

Un détail : je regrette une chose. J’aurais voulu faire intervenir l’ordonnance du général LisbonneIl s’agit de Ben Ali, tirailleur algérien. qui était un Algérien et qui est mort à ses côtés. Je n’ai pas pu « matériellement » le faire. Dommage. Il aurait été bon de montrer aujourd’hui, luttant côte à côte pour un vrai combat de libération nationale et d’émancipation sociale deux hommes, un Algérien et un Français.M. Boris (Propos recueillis par), « Arthur Adamov signera Le Printemps 71 », L’Humanité, 3 février 1961

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