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Événement le 18/05/2013 : Rencontre autour des représentations de la Commune de Paris

La Commune, drame historique (1908)

le par Ary Ludger

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ACTE IV.
La scène représente la campagne autour de Chatou, près de Paris. À droite, sur le devant, une petite villa à un étage, un perron de quelques degrés, une lucarne de grenier sur les toits. À gauche des arbrisseaux dessinés en bouquets disséminés.
Le rideau se lève.
Il fait nuit. Cinq généraux de l’armée de Versailles sont réunis d’un groupe, à gauche avec Flahutt.

Scène Ire
Flahutt – La désunion règne partout ; ils désorganisent tout sans savoir rien réformer. Chacun veut commander quand personne ne songe à obéir. Voilà la Commune.
D’un effort énergique vous pourriez prendre Paris. Mais cet effort est inutile puisque le peuple va vous appeler de lui-même. S’il ne le fait pas je vous donnerai le moment d’agir.
Vinoy – Ils ont arrêté les principaux citoyens, nos amis, ne pourriez-vous essayer de les faire remettre en liberté.
Flahutt – J’ai déjà essayé quelque chose pour eux, mais sans trop réussir. En tout cas ils ne toucheront pas à leur vie, je vous en réponds.
Séparons-nous maintenant et attendez mes renseignements.
Les officiers s’éloignent par le fond pendant que le jour paraît lentement.

Scène II
Flahutt regarde les officiers disparaître.
Flahutt – Imbéciles ! C’est moi qui ai conseillé à la Commune de prendre en otages les hommes les plus éminents de l’ancien régime, et ils se figurent que je vais leur faire rendre la liberté.
Attendez, messieurs, attendez de venir vous-mêmes à Paris, vous allez voir ce qui s’y passera.
Il faut que je décide la Commune à miner la ville d’un bout à l’autre et à s’engloutir avec l’armée versaillaise dans une destruction épouvantable quand les troupes y seront rentrées.
Il faut que Paris saute avec les débris de l’armée française dedans, oui voilà ce qu’il faut.
Ah ! Bismarck sera content.
Il se frotte les mains.

Scène III
Raison arrive par la gauche avec des gardes nationaux en compagnies de marche. Ils s’étendent sur le fond de la scène. Flahutt est rentré dans la maison.
Raison – Halte…
Formez les faisceaux et placez des sentinelles pour surveiller la campagne.
Arrivent Delescluze, Ferré, Flourens et deux autres généraux de la Commune. Ferré seul est en civil. Louise Michel vient après eux. Flahutt sort en même temps de la maison et se dirige vers le groupe.
Delescluze, à Raison – Il faut placer des sentinelles aux environs et ne pas nous laisser surprendre.
Raison – C’est déjà fait, citoyen.
Delescluze – Vous feriez peut-être bien aussi de pousser une petite reconnaissance en avant pour voir ce qui s’y passe.
Raison – C’est aussi ce que j’ai pensé.
Raison s’en va par le fond avec une partie des gardes nationaux pendant que les chefs se réunissent d’un groupe, sur le devant, avec Flahutt.

Scène IV
Flourens, à Flahutt – Il s’agit maintenant de savoir ce qui se trouve devant nous. Quelles forces allons-nous rencontrer ?
Flahutt – Des forces suffisantes pour vous repousser, croyez-le bien.
Flourens – Vous nous disiez pourtant que la campagne était libre, par ici, et que nous pouvions marcher sur Versailles ?
Flahutt – Oui, je le disais, il y a quelques jours, mais je ne le dis plus à présent. Car il y a de l’artillerie sur tous les points stratégiques.
Est-ce ma faute à moi, si vous avez donné le temps à Versailles de faire venir les canons de l’armée de la Loire.
La Commune veut tout faire, mais elle ne fait rien ou le fait trop tard.
Flourens – C’est absolument vrai…
Que reste-t-il à faire maintenant ?
Flahutt – La retraite sur Paris, pas autre chose. Voilà mon opinion.
Flourens, aux officiers – Je monte un peu dans le grenier de cette maison pour étudier les environs.
Il rentre dans la maison.
Flahutt – Aller sur Versailles n’est plus possible. Il faut maintenant attendre l’ennemi dans Paris pour le combattre de rue en rue.
Delescluze – Oui, mais nous serons vaincus, car tous les prisonniers seront revenus d’Allemagne avant huit jours.
Flahutt – Il vous reste un moyen suprême de vaincre, même dans la défaite, et d’anéantir tous vos ennemis à la fois, alors qu’ils se croient bien assurés de la victoire : c’est de faire sauter Paris tout entier par la dynamite quand les troupes de Versailles y seront rentrées.
Louise Michel – Oui, voilà ce qu’il faut faire… que Paris devienne l’immense cercueil de tous les ennemis du peuple.
Delescluze – C’est un moyen épouvantable mais il est déjà décidé : Paris est bourré de dynamite d’un bout à l’autre pour éclater comme un volcan si les Versaillais y rentrent…
Louise Michel – C’est ainsi que l’on doit mourir quand on ne peut pas vivre libre.
Flahutt s’écarte un peu du groupe.
Flahutt – Mon œuvre sera donc complète : Paris anéanti, la France est morte pour toujours.

Scène V
Raison et ses hommes reviennent par le fond de la scène. Ils gardent l’arme au pied.
Raison – Citoyen Delescluze, nous n’avons rien vu dans les environs. Mais il semble y avoir beaucoup de troupes devant nous.
Delescluze – Ah ! je le sais malheureusement trop bien. Je sais aussi que nous n’irons pas à Versailles mais que Versailles viendra bien sûr à Paris.
Louise Michel – Mon pauvre ami, nous allons perdre là une des plus belles parties que le peuple ait eue entre les mains, et qui mettra peut-être un siècle entier avant de se représenter pareille.
Delescluze – Que veux-tu ! ce n’est pas ma faute. J’étais disposé à tout tenter, à tout oser, et l’on n’a rien essayé.
Nous étions triomphants sans combattre, et nous voilà vaincus encore sans combattre.
Louise Michel – Et moi qui voyais déjà luire l’aurore d’une société nouvelle ! Moi qui croyais déjà le peuple vraiment libre, débarrassé de ses égorgeurs et de ses détrousseurs ! Moi qui croyais déjà voir régner la justice pour tous, l’égalité pour tous, et les Droits de l’Homme, les droits de vivre en travaillant, inscrits désormais dans les codes de l’existence !
Pauvre peuple, tu vas redevenir un vil troupeau conduit par des maîtres impitoyables qui se croiront bien plus grands à mesure qu’ils pourront te faire bien plus de mal. Tu vas redevenir la proie de tous ces faux républicains qui parlent de liberté en étranglant la liberté des autres, et qui se croient des grands hommes en n’étant que de grands pantins. Tu vas redevenir l’ennemi commun contre lequel tous les gouvernants vont lancer les régiments et les escadrons pour étouffer les cris de ton droit et les plaintes de ta misère sous la lueur des sabres ou des baïonnettes.
Aussi jusqu’au jour où l’homme, comprenant enfin son droit et son devoir, brisera tous ces charlatans de la politique qui se créent des autels de demi-dieux en asservissant leurs semblables au nom des grands mots : Liberté, Égalité, Fraternité…
Pauvre peuple, pauvre peuple !
Elle sort par le fond.
Delescluze, aux gardes nationaux – Mais amis, il est inutile d’essayer d’aller plus loin, ce serait sacrifier votre vie sans aucun profit.
Nous attendrons désormais l’ennemi dans Paris.
En retraite.
Tout le monde s’en va par la droite. Delescluze s’approche de la maison, près de la porte qu’il entr’ouvre.
Delescluze – Flourens, viens-tu ? Nous nous retirons.
Flourens, de l’intérieur – Oui, je vous suis.

Scène VI
La scène est déserte quand Flourens sort de la maison et s’apprête à descendre le perron. En même temps un gendarme arrive furtivement par la gauche. Il met un genou à terre et ajuste Flourens qui ne l’a pas vu.
Le Gendarme – Rends-toi ou je te tue…
Flourens sort précipitamment un revolver de sa ceinture et regarde le gendarme qui lui répète :
Rends-toi ou je tire…
Flourens – Puisque aucune défense n’est possible, je me rends…
Il abaisse le bras armé du revolver.
Le Gendarme – Jette ton revolver.
Flourens jette son revolver devant lui.
Jette ton sabre.
Flourens dégrafe son ceinturon et le jette avec le sabre près du revolver. Le gendarme avance, tenant toujours le canon de son fusil vers Flourens, ramasse le revolver et ajuste maintenant Flourens avec le revolver pendant qu’il ramasse le ceinturon et le sabre. Il tient ainsi son fusil, le sabre et le ceinturon de la main gauche, le revolver de la main droite.
Le Gendarme – Maintenant marche devant moi. Mais ne bronche pas, si tu tiens à la vie.
Au moment où Flourens va partir, Flahutt apparaît sur le perron et regarde. Il arrive en même temps par la gauche, un capitaine de gendarmerie, précédant de quelques pas des officiers de Versailles avec le général Victor.

Scène VII
Voyant Flourens aux mains du gendarme, le capitaine dégaine et arrive sur Flourens en criant :
Le Capitaine – Il y a longtemps que j’ai envie de tuer une de ces canailles-là…
En même temps il lui fend la tête d’un coup de sabre… Flourens tombe sans pousser un cri.
Vinoy – Capitaine Rivière, vous venez de tuer un des grands chefs de la Commune. Vous êtes un brave… je vous décore de ma propre main.
Il retire sa croix et la place sur la poitrine du capitaine.
Flahutt, qui est descendu du perron, se tient à l’écart. Lorsque Vinoy décore le capitaine, Flahutt se retourne pour rentrer dans la maison.

Flahutt – Ah ! pauvre France ! malheureuse nation ! à quel degré de bassesse et d’infamie sont donc tombés tous tes grands hommes du sabre et de la politique pour décorer le misérable qui vient de tuer un prisonnier désarmé !
Il rentre dans la maison.
Le rideau se baisse.

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