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Événement le 18/05/2013 : Rencontre autour des représentations de la Commune de Paris

La Commune, drame historique (1908)

le par Ary Ludger

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ACTE III.

1er tableau
La scène représente une grande place au bas des Buttes-Montmartre.
Le rideau se lève.
Dans le fond, à droite, on aperçoit des femmes, des enfants devant des gardes nationaux autour des canons. Sur le devant, à droite, Raison apparaît à côté de ses hommes, alignés en longeant la droite de la scène. Autour d’eux il y a aussi des femmes et des enfants, débordant un peu partout.

Scène Ire
Un trompette de la ligne, portant un petit drapeau blanc au bout de son fusil, paraît par la gauche, devant Raoul qui le suit.
À peine paru le trompette sonne au parlementaire.
Aussitôt un officier de la Garde nationale, suivi de deux hommes armés, se présente par la droite et s’arrête à trois pas de Raoul. Raison, ses hommes, la foule s’est retirée vers le fond à droite. On ne voit plus que les femmes et les enfants.
L’Officier du peuple, à Raoul – Que voulez-vous ?
Raoul – Le général Lecomte demande une députation de la Garde nationale pour parlementer avec lui.
L’Officier – Bien. La députation va venir.
Il se retire par la droite pendant que Raoul se retire par la gauche. Le trompette et les deux gardes nationaux restent là.
Raoul revient avec trois officiers supérieurs dont un est le général Lecomte. Un civil est avec eux.
Par la droite arrivent en même temps Delescluze, Cluseret, Flourens et deux officiers de la Commune.

Scène II
Lecomte – Nous venons, vous le savez, prendre les canons des Buttes-Montmartre.
Delescluze – Et nous, vous le savez aussi, sommes justement là pour vous empêcher de les prendre.
Lecomte – Que voulez-vous ?
Delescluze – La Liberté du peuple, rien de plus.
Lecomte – N’êtes-vous pas en République ?
Delescluze – C’est parce que nous sommes en République que nous prétendons à la Liberté et que nous ne voulons plus des serviteurs de l’Empire à notre tête, de ces misérables dont l’incurie n’a pas su défendre le pays qu’ils suçaient de son or et de ses sueurs.
Nous ne voulons plus de ces gens-là, nous n’en voulons plus.
Lecomte – Vous vous révoltez contre la loi ?
Delescluze – En République c’est le peuple qui fait la loi. Et voilà celle qu’il donne aujourd’hui.
Lecomte – Votre dernier mot ?
Delescluze – Nous gardons les canons pour imposer les droits du peuple à ceux qui veulent toujours les méconnaître.
Lecomte – Je vais faire avancer des troupes.
Delescluze – Et nous nous retirons au milieu des nôtres.
Les deux députations se retirent chacun de son côté. Des escouades de la ligne apparaissent aussitôt par la gauche. Le général Lecomte est à leur tête. Raoul est près du général. Le civil est toujours aux côtés de Lecomte.

Scène III
La troupe a pris la moitié de la scène, sur la gauche, du devant au fond. À droite, dans le fond, les femmes et les enfants apparaissent un peu mieux devant les premières lignes des gardes nationaux.
Lecomte, au civil – Qu’en penses-tu, Clément-Thomas ?
Clément-Thomas – Je pense qu’il faut agir avec énergie en précipitant les événements.
Lecomte – Lieutenant Mondroit, commandez le feu sur tout ce qui se trouve devant nous…
Raoul – Général, nous ne pouvons pas tirer sur des femmes et des enfants. Ce serait de véritables assassinats.
Lecomte – Je ne vous demande pas de réflexion mais de l’obéissance immédiate.
Raoul – Et moi je vous réponds par un refus d’obéissance. Je ne commande pas le feu sur des femmes et des enfants.
Lecomte – Rendez-moi votre sabre, monsieur, que je le brise devant vous.
Raoul, qui a son sabre à la main, le présente par la pointe au général. Celui-ci se recule en prenant un revolver à sa ceinture.
Lecomte – Misérable, vous me menacez, je crois.
Il tire sur Raoul sans le toucher.
Raoul sort à son tour un revolver et ajuste le général.
Raoul – Général, tirez donc encore une fois…
Lecomte – Soldats, arrêtez cet homme !
Raoul – Camarades, nous sommes tous enfants du peuple et nous ne tirerons pas sur le peuple. Ce sont des scélérats tous ceux qui veulent nous faire marcher contre le peuple.
Si nos tristes gouvernants n’étaient pas les ennemis du peuple ils ne nous enverraient pas toujours tuer nos frères ou les écraser sous le pied des chevaux.
Nous sommes en République et nos républicains actuels sont tout aussi ennemis du peuple que les pires potentats d’autrefois. C’est parce qu’ils comptent sur nous pour faire triompher leurs iniquités.
Eh bien, montrons-leur à la fin que nous sommes des enfants du peuple et que nous ne voulons plus combattre le peuple.
Camarades, la crosse en l’air !… et vive le peuple !…
Tous les soldats mettent la crosse en l’air en répétant :
Vive le peuple !…

Scène IV
La Garde nationale, les femmes arrivent aussitôt fraterniser avec les soldats.
Clément-Thomas, à Lecomte – Partons ou nous sommes perdus.
Ils vont pour disparaître furtivement tous les deux, mais le père Raison se place devant eux avec quelques gardes nationaux.
Raison – Halte, mes seigneurs. Ce n’est pas par là qu’il faut aller, mais par ici.
Il montre le côté des gardes nationaux par où arrivent en ce moment Delescluze, Flourens, Cluseret et d’autres officiers du peuple.
Citoyen Delescluze, voilà deux hommes qui ont commandé le feu sur le peuple…
Les femmes crient :
Justice, justice…
Delescluze – Nous allons établir une cour martiale qui jugera l’affaire immédiatement.
Suivez-nous avec les prisonniers.
Delescluze et les officiers du peuple rentrent dans une maison de la place. Un peloton de gardes nationaux y pénètre aussi avec Lecomte et Clément-Thomas. Une sentinelle reste à la porte.
Le rideau se baisse.

2e tableau
La scène représente le jardin enclos d’une maison de la place Montmartre. Au fond est la maison ; à droite et à gauche, un mur entoure la maison.
Le rideau se lève.
Il fait nuit.
Delescluze, Flourens et cinq ou six autres officiers du peuple sont assis sur des tambours dans un coin du jardin. Lecomte et Clément-Thomas sont debout à quelques pas devant eux. Lecomte est désarmé.
Quelques gardes nationaux, appuyés sur leurs fusils, se tiennent derrière leurs prisonniers. Tout autour du jardin des gardes nationaux éclairent avec des torches. Raison se tient près du conseil de guerre.

Scène Ire
Delescluze – Officier de la ligne, qui êtes-vous ?
Lecomte – Lecomte, général de la 3e division du 1er corps d’armée.
Delescluze, s’adressant au civil – Et vous, monsieur.
Le Civil – Clément-Thomas, général en chef de la Garde nationale de Paris.
Delescluze – Vous êtes accusés tous deux d’avoir commandé le feu sur le peuple.
Qu’avez-vous à répondre, général Lecomte ?
Lecomte – J’accomplissais mon devoir en exécutant les ordres qui m’avaient été donnés d’abord à moi.
Delescluze – Monsieur, il y a des ordres que l’on n’exécute pas, vous devez le savoir.
Si vous n’aviez commandé le feu que sur nous seulement, nous ne voudrions pas vous juger, parce que nous pouvions immédiatement rendre vos coups. Mais en ordonnant le massacre d’une foule sans armes, pouvait-elle rendre vos coups ?
Lecomte – J’avais des ordres, je vous dis.
Delescluze – Et moi je vous répète qu’on n’exécute pas les ordres quand ils sont un crime abominable.
Lecomte – Un soldat ne discute pas, il marche.
Delescluze – Eh bien, vous a-t-on commandé de tirer sur une foule désarmée ?
Lecomte – Non. Mais je n’ai commandé le feu que sur les gardes nationaux en armes. C’était à la foule à ne pas se trouver autour d’eux.
Delescluze – Alors pourquoi n’avoir pas fait les sommations ordonnées par la loi ?
Lecomte – Je n’y ai plus pensé, tellement le péril m’a semblé imminent.
Delescluze – Vous avez donc manqué à tous vos devoirs : à vos devoirs de soldat d’abord en ne sommant point le peuple, comme à vos devoirs de citoyen en ordonnant le massacre d’une foule inoffensive.
À Clément-Thomas.
Clément-Thomas, les mêmes faits sont à votre charge, avec celle de trahison, qu’il faut y ajouter : général en chef de la Garde nationale vous venez attaquer cette garde nationale, et vous décidez avec un général de la ligne de faire massacrer des femmes et des enfants.
Clément-Thomas – Nous sommes les soutiens des lois établies ; si nous avons manqué à nos devoirs nous ne pouvons être jugés que par ces mêmes lois, que vous ne représentez pas.
Delescluze – Nous ne représentons pas vos lois, non, mais nous représentons le peuple que vous alliez faire massacrer. C’est à ce titre seul que nous sommes vos juges.
Avez-vous, l’un ou l’autre, quelque chose de plus à ajouter pour votre défense ?
Tous deux – Non.
Delescluze – Nous allons délibérer.
Tous les officiers se lèvent et se réunissent en groupe pendant que Raison fait reculer les prisonniers.

Scène II
Louise Michel rentre par le fond. Elle s’arrête devant Lecomte et Clément-Thomas. Il rentre aussi beaucoup de gardes nationaux.
Louise Michel – Les voilà ces deux gredins qui voulaient faire égorger le peuple, les voilà !
C’est pour massacrer le peuple, n’est-ce pas, qu’il vous faut une armée, bien forte et bien disciplinée, bien dévouée à vos ordres. C’est pour étrangler les droits du peuple qu’il vous faut des soldats. Voilà ce que vous appelez défendre la Patrie.
Mais la Patrie, c’est vous, c’est l’or de la France que vous empochez… la Patrie, c’est votre ambition, c’est votre cupidité, qui détrousse le peuple et le fait égorger quand il ne veut plus se laisser dépouiller…
Vous êtes tous des monstres, vous, vos ministres et tous ces gouvernants qui se parent d’un titre républicain pour mieux étouffer la Liberté en frappant sur ses meilleurs défenseurs.
Le peuple à la fin comprendra ce que vous êtes et ce que vous valez ; il comprendra que la Révolution n’a rien changé dans son régime et dans sa misère ; il comprendra que les hommes d’aujourd’hui sont comme les hommes d’autrefois, d’abominables oppresseurs de la pensée et du droit des gens.
Aux gardes nationaux :
Camarades, la lutte est commencée, pour le peuple et pour la libération du genre humain.
La Révolution de 1789 nous a donné d’autres maîtres dans un nouvel esclavage mais la Révolution d’aujourd’hui va détruire tous les maîtres et tous les esclavages.
Jurez avec moi de défendre la Commune…
Tous les gardes – Nous le jurons.
Chantons maintenant tous ensemble, notre chant d’espérance et d’avenir, chantons « l’Internationale ».
Un Garde, chante
« Debout les damnés de la terre,
Debout les forçats de la faim.
La vérité tonne dans son cratère,
C’est l’éruption de la fin.
Du passé faisons table rase,
Foule esclave, debout debout.
Le monde va changer de base,
Nous ne sommes rien, soyons tout. »
Tous –
« C’est la lutte finale,
Groupons-nous, et demain,
L’Internationale
Sera le genre humain. »
Tous – Vive la Commune ! Vive la Commune !
Les officiers vont se rasseoir sur les tambours. Delescluze fait signe de ramener les prisonniers devant le Conseil.

Scène III
Delescluze – Général Lecomte, général Clément-Thomas, nous vous infligeons la peine de mort… Vous serez passés par les armes immédiatement…
Lecomte – C’est une grande faute que vous allez commettre, car l’exemple du sang sera donné.
Delescluze – C’est peut-être une grande faute, mais avant tout c’est une grande justice. Et nous la commandons d’une conscience tranquille.
À Raison.
Sergent, exécutez ces deux hommes.
Raison – Messieurs, allez au mur…
Lecomte et Clément-Thomas vont se placer au mur. Le peloton qui les gardait s’aligne à quelques pas devant eux. Les gardes nationaux, porteurs de torches, se sont placés de chaque côté, éclairant les condamnés et la ligne de tir.
Raison – Portez… armes… en joue… feu !…
Une décharge retentit. Les deux hommes s’affaissent.
Le rideau se baisse.

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