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Événement le 18/05/2013 : Rencontre autour des représentations de la Commune de Paris

Quand le cinéma s’empare d’un évènement révolutionnaire pour discuter la question de l’engagement – La Commune (Paris, 1871) de Peter Watkins

le par Émilie Chehilita

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Une Histoire que s’approprie le militant ou l’homme ? La question du point de vue.

La représentation des classes sociales
Un point de vue préside-t-il à l’observation des scènes ? Le film choisit de montrer la Commune à Paris seulement et au sein du XIe arrondissement, dans le quartier Popincourt. Les personnages présentés au départ sont – par ordre d’apparition – le grand-père TibaudhierL’orthographe des noms de famille est laissée à l’appréciation de l’auteur., vivant dans un petit appartement avec les cinq autres membres de sa famille, Henri Dubrieux, écrivain public, le boulanger et la boulangère, un couple hétérosexuel et ses deux enfants, Constance Fillion, sage-femme, et sa fille accueillie à l’orphelinat des sœurs de St-Vincent de Paul, Françoise Boidard et Marie-Louise Bouge, deux institutrices, l’une noire de peau, l’autre blanche. Sont présentés ensuite, après une heure de film, les personnages de la patronne de la blanchisserie et du lavoir et de ses couturières et lavandières. Ces animateurs de la vie du quartier ne sont ni les plus riches, ni les plus pauvres, certains travaillent dans des secteurs primordiaux pour le fonctionnement de la société : l’alimentation, les naissances, l’éducation, mais d’autres ne sont pas définis par une catégorie socio-professionnelle. Toutes, hormis la patronne de la blanchisserie, prennent parti pour la Commune et deviennent des communards. La caméra est la plupart du temps placée au milieu d’elles et non parmi les opposants à la Commune. La parole la plus entendue est, en conséquence, une parole d’adhésion au soulèvement révolutionnaire. Plus significatif encore, les communards sont filmés en direct, tandis que les Versaillais sont plus souvent pris dans un système médiatique plus distantNéanmoins, quelques exceptions à cette règle sont notables : par exemple, un caricaturiste de la télévision versaillaise, se promenant dans le 11e arrondissement, est brusquement interpellé par des passantes et un membre de la Garde nationale., différé, comme Mme Talbot, une bourgeoise, enfermée dans son appartement du XIe arrondissement puis réfugiée, au moment de la Semaine sanglante, dans celui de sa fille, non loin des jardins du Luxembourg. Le point de vue n’est pas celui d’une classe, mais celui d’un quartier dans lequel on rencontre des commerçants, une petite patronne, des ouvrières et des personnes qui tentent de vivre malgré la misère.
La patronne de la blanchisserie soutient le travail de ses ouvrières, mais s’oppose à la Commune d’un point de vue économique et organisationnel. Elle est une propriétaire qui, au milieu d’un grand nombre de personnes acquises à la cause communarde, s’oppose et débat. Au contraire, Mme Talbot est toujours présentée dans son appartement regardant la télévision ou écrivant une lettre à sa fille, ses sources d’informations lui venant des actualités versaillaises ou des récits que peut lui faire sa bonne qui sort pour les courses. Placée dans un dispositif indirect, s’opposant fort aux nombreux regards-caméra des communards, assise à son secrétaire, offrant son sec profil à l’écran, la bourgeoise fait penser à ces images d’Épinal de la bourgeoisie tirées d’un roman réaliste du XIXe siècle. D’autres représentants de la classe bourgeoise, le présentateur et le reporter de la télévision versaillaise par exemple, presque toujours encadrés du petit écran (vu de loin, dans un café ou en plan rapproché), adoptent des attitudes maniérées – hautaines et empruntées – et proposent une interprétation de la situation que l’on peut identifier – au regard de la complexité de la situation présentée en parallèle – comme manichéenne. Le groupe des bourgeoises réunies comme pour une photo de famille à la fin du film, prises dans un travelling face caméra, leurs visages interdits, leur incompréhension, montre des personnages littéralement passés à côté de l’Histoire.
Même si aucun acteur n’était contraint d’adhérer à l’opinion de son personnage pour le jouer, il fut sans doute plus difficile à Peter Watkins et son équipe de recruter des personnes qui souhaitaient jouer les rôles des anti- plutôt que des pro-communards. Des listes de noms et coordonnées ont été ouvertes lors de deux soirées de projection du film Culloden réalisé par Peter Watkins en 1964, sur la bataille de Culloden (1746)Bataille au cours de laquelle l’armée du prince, majoritairement composée de membres des clans écossais des Highlands, fut écrasée en à peine plus d’une heure par l’armée britannique fidèle au roi George II de Grande-Bretagne. à Montreuil et à la mairie du XIe arrondissement. Des personnes ont aussi été recrutées en Picardie, dans les environs d’Amiens. Les volontaires se sont ensuite entretenus avec le cinéaste qui les entrevoyait ou non dans un rôle puis, avec leur accord, leur attribuait une place dans le film (son 1Entretiens réalisés à La Parole errante le 28 mars 2012 avec Jean-Jacques Hocquard et Joachim Gatti, avec la précieuse aide d’Audrey Olivetti.). Les participants réunissaient des militants de différentes associations (tels Agir contre le Chômage, Droits devant, Droit au logement)I. Marinone, « Une opposition aux Mass Media Audiovisuels (MMAV) : La Commune (Paris, 1871), une démarche alternative », dans S. Denis – J.-P. Bertin-Maghit (dir.), L’Insurrection médiatique. Médias, histoire et documentaire dans le cinéma de Peter Watkins, Presses universitaires de Bordeaux, Pessac, 2010, p. 49, des intermittents du spectacle et des amateurs de théâtre. Des annonces ont aussi été passées dans le quotidien Le Figaro, mais n’ont connu qu’un succès restreint. Une majorité des acteurs a logiquement un intérêt pour le travail de Peter Watkins et une communauté de vision politique avec ce dernier.

Dans un second temps, si la représentation de la classe bourgeoise peut sembler surannée aux yeux d’un spectateur de la fin du XXe siècle, la distance entre représentation et réalité n’est pas grande si l’on s’en réfère à l’époque. Mais, le déclin de la visibilité des séparations en classes dans le courant du XXe siècle en est aussi la cause. La question de la domination semble s’être complexifiée au point de ne plus être saisissable par la théorie marxiste d’une répartition de la société entre bourgeoisie et prolétariat, une impression traduite par une des participantes qui formule son embarras à orienter son oppositionVoir ci-après..
Les communards filmés à la manière du cinéma direct, le regard, très souvent face caméra, donnent l’impression de s’adresser au spectateur, de l’inclure dans le dispositif, rendant aussi par ce biais palpable la présence de la caméra. La forme sert l’idée qu’ils sont ceux qui s’exposent à l’Histoire et à sa violence, ceux qui font l’Histoire, tandis que les bourgeois se protègent, réfugiés chez eux ou derrière un écran de verre. Du point de vue de la violence, l’image des révolutionnaires n’a pas été épargnée. En parallèle à l’aspect parfois un peu simplificateur de la bourgeoisie, l’image de l’homme du peuple n’est pas non plus qu’élogieuse. La violence de l’emportement passionné pour une cause politique n’est pas gommée, elle est peut-être même encouragée voire provoquée et échauffée par le metteur en scène (son 2 Entretiens réalisés à La Parole errante le 28 mars 2012 avec Jean-Jacques Hocquard et Joachim Gatti, avec la précieuse aide d’Audrey Olivetti.). Le film ne polit ni la virulence de la parole ni l’autorité du discours du militant ou de l’homme de gauche qui maîtrise le sujet dont il débat. Cependant ce dernier n’est pas le seul à s’exprimer. De manière générale, le discours versaillais est moins hétérogène que les multiples positions des communards, dont une majorité appartient aux classes populaires. La complexité de la lecture est tournée vers ces derniers au travers de l’étude de leurs contradictions et de leurs oppositions internes.

Un film à plusieurs voix
Les démêlés au sein du mouvement sont criants dans l’antagonisme entre les deux journalistes de la télévision communale lors de la création du Comité de salut public, chargé de poursuivre les opposants, mais procédant à des arrestations sommaires. Même si, de manière paradoxale, elle s’oppose à l’existence de médias d’opinion, la femme, enthousiaste dans l’adversité, préfère donner une image positive du mouvement plutôt que de ternir celui-ci en soulignant ses désaccords. L’homme estime, quant à lui, que la création du Comité de salut public est une grave atteinte aux principes de la Commune et, se refusant à un journalisme non-critique, il se désolidarise de sa collègue et part enquêter seul. Après cette scission qui conclut à l’indéniable caractère partisan des médias, le spectateur retrouve un autre journaliste, présenté seul depuis le début, écrivant dans les pages du Père Duchesne, journal satirique pro-communard parisien dont l’audience fut forte durant la période.
Ce dernier pose une autre question épineuse qui touche, cette fois, au système économique. Le reproche de n’avoir pas modifié en profondeur son fonctionnement est une des critiques centrales que fait Karl Marx à la CommuneK. Marx, The Civil War in France : address of the General Council of the International Working-Men’s Association (La Guerre civile en France : adresse du Conseil général de l’Association internationale des travailleurs), Londres, 30 mai 1871 pour le troisième tirage. Devant le Mont-de-piété« Mont-de-piété : établissement de prêt sur gage. Engager sa montre au mont-de-piété. » dans texte remanié et amplifié sous la direction de Josette REY-DEBOVE et Alain REY, Le Petit Robert, dictionnaires Le Robert, 1967 pour la première édition, 2004 pour la présente édition, p. 1666 où des femmes tentent de reprendre les objets qu’elles y ont laissés, le journaliste du Père Duchesne, secondé par Gérard Bourlet, demande à un des élus de la Commune, Francis Jourde, pourquoi ils n’ont pas décidé de supprimer le Mont-de-piété et de sortir l’argent des caisses de la Banque de France pour le redistribuer. L’élu explique que la suppression du Mont-de-piété est envisageable à terme, mais point dans l’immédiat et qu’en outre, prendre l’argent de la Banque de France qui n’aurait pas été pris durant le siège, serait encourir le risque d’un effondrement du cours de la monnaie et du système d’escompte parisien et français.
Si le point de vue privilégié est celui de communards convaincus (des communards de la première heure et non d’anciens conservateurs, à l’image de Pierre PirotteJ.-L. Debry, Pierre Pirotte ou le Destin d’un communard, Éditions CNT, région parisienne, Paris, 2005), ils ne soutiennent la plupart du temps pas un discours construit. Le point de vue sur l’évènement historique n’est pas unilatéral, du fait même des processus de création pour lesquels a opté le réalisateur. De par la volonté d’un minimum de coupes au montage, les propos sont souvent gardés dans leur continuité. Les nombreuses scènes durant lesquelles la caméra vogue d’une personne à l’autre, saisissant une parole sur le vif, rendent l’impression d’un « corps collectif »Expression de J.-P. Jeancolas, « Paris 1871-1999, La Commune vue par Peter Watkins », Positif, juin 2000, n°472, p. 30. Comme si on interviewait des personnes au cours d’une manifestation de rue, les participants sont questionnés ou interviennent spontanément, pris dans une situation, ici, en l’occurrence, un processus révolutionnaire. De la sorte, ce n’est pas un point de vue qui est exprimé dans ce film, mais les points de vue d’un grand nombre d’individus qui s’expriment, tantôt au sein de la situation historique qu’ils jouent, tantôt au temps de l’énonciation du film, l’année 1999, en faisant référence aux luttes contemporaines. L’extrême difficulté de la distinction entre le point de vue du personnage et celui de l’interprète, l’impossibilité même pour le spectateur d’établir clairement cette distinction, est l’une des réussites du film, ce que souligne Emmanuel Barot, maître de conférences en philosophie à l’Université de Toulouse-Le Mirail :

Reconquérir le sens du réel passera donc tout particulièrement par la mise en scène de la complexité de l’expérience de la liberté.E. Barot, Camera Politica, dialectique du réalisme dans le cinéma politique et militant (Groupes Medvedkine, Francesco Rosi, Peter Watkins), Vrin, Paris, 2009, p. 99 – Le point de vue de Barot est très enthousiaste quant à l’efficacité du processus brechtien ; le sérieux de son analyse aurait gagné à la nuance.
[…] les acteurs disent non pas ce que le réalisateur souhaite, mais ce qu’ils pensent eux-mêmes, sans que le film ne donne les moyens de savoir si et quand il y a ce décalage. La coupure entre le film et le public disparaît alors : le film ne se contente pas de mettre en scène le litige du politique, il est et incarne ce litige, et c’est donc le spectateur comme acteur potentiel qui s’avère l’acteur réel du film.Ibid., p. 109

L’évolution globale du film va des témoignages individuels saisis dans le feu de l’action aux discussions collectives prises dans un temps plus long. D’après les entretiens que nous avons pu réaliser avec Jean-Jacques Hocquard, administrateur de la Parole errante, et Joachim GattiEntretiens réalisés à La Parole errante le 28 mars 2012 avec Jean-Jacques Hocquard et Joachim Gatti, avec la précieuse aide d’Audrey Olivetti., acteur dans le film, un tournant eut lieu durant le tournage (sons 3 et 4). Lors d’une pause, une femme a protesté contre la rigidité du dispositif mis en place par le réalisateur. Plusieurs autres participants, des femmes notamment, n’ont plus supporté la trop grande tension palpable dans le studio. Elles ont jugé la violence, qui se manifestait parfois en paroles ou en gestes, difficilement contrôlable, créant un climat étouffant, mêlé de concentration, d’attention et d’appréhension. Peter Watkins a suspendu momentanément le tournage. Suite à cette interruption, il est revenu en décidant de tourner des scènes dans lesquelles les participants pourraient débattre plus librement, en assemblée dans un café ou pour la réunion de l’Union des femmes par exemple, sans la contrainte de la caméra qui s’avance hâtivement d’une personne à l’autre. Selon Joachim Gatti, les comédiens en avaient assez de devoir se tourner vers la caméra pour s’exprimer et de ne pas pouvoir regarder leurs camarades droits dans les yeux. Ils auraient été nombreux, selon lui et Jean-Jacques Hocquard, à se sentir enfermés dans un dispositif sur lequel ils n’avaient aucune prise. En choisissant de répondre à leur requête, Peter Watkins a laissé les participants bien plus libres de construire son film et a poursuivi ainsi le but qu’il s’est fixé depuis le début de sa carrière : aplanir la relation hiérarchique entre réalisateur et acteur.

La mise en scène du processus révolutionnaire
Le réalisateur s’est laissé convaincre par ces « acteurs » et a donc orienté son film dans la direction vers laquelle ces derniers ont voulu l’emmenerDans la première version du scénario, le paragraphe n°396 décrivait la situation suivante :
« 396 (21 May). Elizabeth Dmitrieff faces the audience, alone, or with one or two of her co-workers.
A meeting with the Union des femmes, which has been convoked for this same evening at the Hotel de Ville, to conclude the process of unionizing women workers in Paris – does not take place. »
[traduction de l’auteur : « Elizabeth Dmitrieff fait face au public, seule, ou avec une ou deux de ses collègues
Une réunion de l’Union des femmes qui avait été prévue pour le même soir à l’Hôtel de ville pour conclure le processus d’union des travailleuses à Paris – n’aura pas lieu. »]
(dans première version du scénario du film The Paris Commune, novembre 1998, p. 194, ouvrage non publié). Nombre d’éléments entre le scénario d’origine et le tournage ont été modifiés ou supprimés. Le réalisateur n’a pas fait lire ce scénario aux comédiens, la part d’improvisation était grande.
. À ce sujet, Isabelle Marinone décrit cette progression comme la mise en pratique d’une conception libertaire de la démocratie :

Une contestation de la médiation
Au fur et à mesure de son élaboration, La Commune finit curieusement par exclure la question médiatique au profit de l’échange direct, simple, sans médiation des participants de l’expérience (passage dans les premières heures du film de la représentation des médias – Télévision Nationale Versaillaise mais aussi Communale, avec présence importante de ces deux journalistes – à des séquences très longues de débats entre participants avec disparition physique de ces mêmes journalistes à l’écran). En ce sens, la structure, le « processus » même du film, conduit à un retour vers la parole pure, sans traduction, sans intermédiaire. [….] Le film démontre que tout savoir, comme toute signification, ne peut naître que du milieu des choses, c’est-à-dire des acteurs mêmes de l’histoire. Celle-ci ne peut éclore que des relations spontanées et des rapports immédiatement perçus par les participants qui vivent ou qui subissent les événements. Cette perception des corrélations instantanément vécues exige un savoir propre qui tient à la fois de la pratique et de l’expérimentation.
[…] En interrogeant puis, finalement, en refusant toute forme de médiation, les participants de l’expérience de La Commune adoptent volontairement ou involontairement une conception libertaire.I. Marinone, op.cit., p. 54-55

On peut dire qu’il y a eu, durant le tournage, un moment de révolte des participants, une émancipation qui leur permit d’acquérir une autonomie par rapport à leur chef artistique qui, pourtant, pouvait exercer sur eux une certaine fascination.
Sébastien Denis, maître de conférences en cinéma à l’Université de Provence, explique cette volonté du réalisateur de tendre vers la plus grande circulation des discours de chacun : « De fait, son seul but en faisant du cinéma est de donner la parole à tout le monde, c’est-à-dire de créer artificiellement (par les moyens du théâtre et du cinéma) les conditions d’un dialogue entre les individus ou des communautés, afin de créer une démocratie virtuelle »S. Denis, Médias et politique chez Peter Watkins. Des jeux du cirque médiatiques aux médias alternatifs, dans S. Denis – J.-P. Bertin-Maghit (dir.), op. cit., p. 64. Comme la catégorie politique « libertaire » chez Isabelle Marinone, la notion de « démocratie » recouvre une grande étendue de sens et se trouve être ainsi à la fois floue et évocatrice. Ces deux termes ont l’avantage de peindre Peter Watkins en chercheur d’une démocratie réelle et directe, en amoureux de l’humain et des expériences collectives, dans une perspective à la fois politique et esthétique. Paradoxalement et selon les dires de Jean-Jacques Hocquard, Peter Watkins n’est pas un « politique »J.-J. Hocquard, interviewé par Émilie Chehilita et Audrey Olivietti, La Parole errante, 28 mars 2012, c’est pourquoi, de mon point de vue, son positionnement de personne et de cinéaste échappe à une catégorisation aux contours nets. Sébastien Denis résume bien ce souhait du cinéaste et de la personne de fuir une volonté, venant de l’extérieur, des journalistes et des théoriciens notamment, de le situer sur l’échiquier politique :

Du fait même du processus de travail préparatoire et de tournage, je pense qu’on se trompe en ne voyant dans ses films que des films « de gauche », et même des films directement engagés politiquement parlant (c’est-à-dire de droite, de centre, de gauche, d’extrême gauche, etc.). Le projet de Watkins est essentiellement pédagogique […] D’ailleurs, s’il pense que l’opposition est « nécessaire dans une vraie démocratie », il refuse les révolutions, comme il le signale dans un entretien télévisé en français avec François Chalais dans l’émission Reflets de Cannes du 13 mai 1967. Ce qui importe pour lui c’est l’humanité du propos, et non l’engagement politique de droite ou de gauche : « On croit que je suis communiste en Angleterre, et que je suis fasciste. C’est curieux, parce que je ne suis pas politique du tout. Tout le monde parle de la politique, et pas du cœur, des choses de l’humanité ; on parle tout le temps soit au milieu, soit à droite. On doit avoir une étiquette : communiste, anarchiste, droite… ».
Refusant toutes les étiquettes, Watkins pourrait pourtant être considéré comme un anarchiste, pour lequel les partis politiques présenteraient tous les mêmes syndromes totalitaires. Watkins se situe clairement contre TOUS les systèmes, qu’ils soient politiques, militaires ou médiatiques. Mais il ne semble même pas intéressé par la terminologie […].S. Denis, Médias et politique chez Peter Watkins. Des jeux du cirque médiatiques aux médias alternatifs, dans S. Denis – J.-P. Bertin-Maghit (dir.), op. cit., p. 65-66

Peter Watkins a une foi certaine en l’humain, mais sa foi en une organisation politique et sociale anarchiste n’est pas prouvée. L’organisation politique qu’il souhaiterait améliorer semblerait plutôt être celle majoritairement en place aujourd’hui dans les pays riches : la démocratie. Au travers de la Commune, sa question n’est pas tant de celle de la nature de cette démocratie, parlementaire ou participative, que la possibilité d’une application littérale du mot : cratos, le pouvoir, du démos, le peuple. La Commune est pour lui la recherche d’une répartition de la parole et des pouvoirs, la recherche d’une émancipation des petits, ensemble. L’essentiel est que ce réalisateur est une personne qui pense hors des catégories d’un point de vue politique, mais aussi esthétique : c’est pourquoi, en tant que directeur d’acteurs, il utilise des procédés de distanciation, mais n’oublie pas l’émotion, ce qui a pu faire écrire à Jean-Pierre Jeancolas, historien et critique de cinéma :

Dans la dernière heure, […] le corps collectif (associé à la caméra qui, elle aussi, a appris à perfectionner sa mobilité au sein de ce corps) atteint une expression du tragique et de l’émotion proches du sublime.
[…] (l’émotion qui sourd de la dernière heure du film ne contredit en rien cette cause du peuple que plaide Watkins).J.-P. Jeancolas, « Paris 1871-1999, La Commune vue par Peter Watkins », Positif, juin 2000, n°472, p. 30

La grande émotion qui traverse l’ensemble des participants, la force de leur engagement dans le jeu et dans une entreprise collective et bénévole, l’impression plusieurs fois répétée d’un corps commun des communards blessés de part en part, subissant collectivement les attaques des Versaillais, résistant ensemble, de manière solidaire, produisent un sentiment d’élévation qui se rapproche effectivement du sublime. Plus que l’histoire de la Commune, ce film raconte un soulèvement, une émancipation collective en relation précise à la chronologie de mars à mai 1871 ainsi qu’en étroit lien au présent des luttes politiques et du tournage lui-même.
L’entremêlement des temps, des techniques du jeu d’acteur, des relations aux spectateurs produit une œuvre hybride qui mérite une analyse plus précise. J’ai choisi deux moments collectifs dont les constructions différentes reflètent deux grands axes de la mise en scène.

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