L’Insoutenable Théâtralité de la Commune
le par Casiana Ionita
Bien que le discours anti-communard et antithéâtral ait été prédominant après 1871, le discours positif sur la théâtralité de la Commune a prévalu pendant la deuxième moitié du XXe siècle, lorsque les historiens français et anglo-saxons ont commencé à revisiter la Commune et à la décrire d’une manière plus nuancéeDu début du XXe siècle jusqu’aux années 1950, la mémoire de la Commune a été associée surtout au communisme de l’Union Soviétique. Lefebvre réinterprète la dimension marxiste de la Commune tout en attaquant l’appropriation léniniste et staliniste de ce moment historique. Voir aussi R. Tombs, The Paris Commune, 1871, p. Longman, London, 1999, p. 220-236.. Le plus controversé d’entre eux reste Henri Lefebvre, qui a retravaillé les idées situationnistes de la fête et du spectacle pour mettre l’accent sur l’exemplarité du moment communard. Sa définition de la Commune comme la seule vraie fête du XIXe siècle grâce à son caractère participatif a immédiatement rendu définitive sa rupture avec les situationnistes, qui l’ont accusé d’avoir plagié un de leurs manifestes. Mais, à long terme, la contribution de Lefebvre a aussi provoqué une revalorisation du concept de la fête, ce qui a ensuite eu un impact majeur sur les descriptions de la seule révolution d’après la Commune, en France, celle de mai 1968Voir H. Lefebvre, La Proclamation de la Commune, Gallimard, Paris, 1965, surtout p. 19-25. Pour une analyse des différences entre les concepts complexes de la fête et du spectacle chez Lefebvre et Debord, voir B. Highmor, Everyday Life and Cultural Theory, Routledge, London / New York, 2002, p. 113-145.. Tandis que chez Lefebvre il s’agit d’un choix argumenté, chez d’autres historiens l’accent mis sur la théâtralité sert le but implicite de mettre en relief le pouvoir des communards de décider de leurs propres vies et d’agir avec la conviction que leurs actions auront un impact politique. C’est le cas des phrases telles que « The revolution known as the Paris Commune began with a day of high drama in the working-class neighborhoods of Paris, and women played leading parts. Street theater seemed to be their métier »« La révolution qu’on connaît comme la Commune de Paris commença avec une journée dramatique dans les quartiers ouvriers de Paris et les femmes jouèrent les rôles principaux. Le théâtre de la rue sembla être leur métier. » (G. L. Gullickson, Unruly Women of Paris : Images of the Commune, Cornell University Press, Ithaca, 1996, p. 24) ou « [Louise] Michel viewed politics as theater, the clubs as a stage. She entered into this drama with the utmost seriousness and respect »« [Louise] Michel considéra la politique comme du théâtre, les clubs comme une scène. Elle entra dans ce drame très sérieusement et respectueusement. » (C. J. Eichner, Surmounting the Barricades, Indiana University Press, Bloomington, 2004, p. 148). Si les historiens contemporains ont donc recours aux métaphores théâtrales, c’est pour les mêmes raisons que Lissagaray : montrer comment la Commune a permis et encouragé la participation directe de ceux qui avaient été exclus du processus politique.
Casiana Ionita
Bibliographie
Daudet Alphonse, « Le Naufrage », Quarante ans de Paris, 1857-1897, La Palatine, Genève, 1945, p. 105-109
Du Camp Maxime, Les Convulsions de Paris, volume 4, Hachette, Paris, 1881, 398 p.
Goncourt Edmond de, Journal, mémoires de la vie littéraire, 2e série, volume 1, 1870-1871, Flammarion, Paris, 1890, 372 p.
Lissagaray Hippolyte Prosper-Olivier, Histoire de la Commune de 1871, E. Dentu, Paris, 1896, 577 p.
Zola Émile, « Lettres de Paris », Le Sémaphore de Marseille, avril 1871 ; republié dans Nicole Priollaud (dir.), 1871 : La Commune de Paris, L. Levi / S. Messinger, Paris, 1983, p. 138-141