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Événement le 18/05/2013 : Rencontre autour des représentations de la Commune de Paris

La Métafiction historiographique comme « le contraire du roman engagé » : L’Imitation du bonheur de Jean Rouaud (2006)

le par Iva Saric

Résumé

Le roman L'Imitation du bonheur (2006) de Jean Rouaud s'inscrit dans ce genre qu'est la métafiction historiographique : d’un côté, il aborde les questions d'ordre poétique, c'est-à-dire le questionnement du roman en tant que genre littéraire tandis que, de l’autre, il examine le discours historiographique et les conventions sur lesquelles il repose. Si l'insurrection parisienne du printemps 1871 représente le cadre spatio-temporel du roman, elle joue aussi le rôle de déclencheur qui permet à l'intrigue de se dérouler : Rouaud démontre comment l'Histoire se manifeste comme une histoire intime de ses personnages, comment elle influe sur la création de l'identité et également sur sa transformation. L'hésitation constante entre la fonction représentative et la fonction sémantique du langage, étroitement liée à l'ironie omniprésente qui se manifeste dans le texte, sert à l'auteur de mécanisme de création d'un roman qui est « le contraire du roman engagé », selon ses propres dires.

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(doc. 1)

Introduit par Linda HutcheonVoir L.Hutcheon, A Poetics of Postmodernism: History, Theory, Fiction, Routledge, London – New York, 1988, le concept de la métafiction historiographique devient une des notions incontournables dans les débats théoriques sur le postmodernisme. Il désigne le genre qui relie l’autoréflexivité du récit au doute quant à la possibilité d’un discours historiographique : en d’autres termes, la métafiction historiographique met en relation la composante métafictionnelle du roman avec la véracité d’un récit historique problématique. Ainsi que le souligne Linda Hutcheon, ce concept se fonde sur la tradition de l’École des Annales et rappelle l’arbitraire de la distinction entre discours littéraire et discours historiographique dans la représentation du réel : les faits dont l’historiographie parle sont déjà interprétés. Il ne s’agit pas d’événements vrais en soi, mais d’événements captés, d’événements déjà enfermés dans le langage, d’événements qui n’existent qu’en tant que discours et c’est pourquoi ils sont interprétables. Par conséquent, leur incorporation dans le récit romanesque sous-entend la possibilité de leur modification, de leur questionnement, de leur réinterprétation et même de leur falsification dans la création d’un monde fictif. Mais la cohérence de ce monde créé au sein de la fiction romanesque est rompue par la composante métafictionnelle du récit, qui met en évidence ses propres procédés comme conventions littéraires appliquées et leurs limitations dans la représentation du réel.
Le roman L’Imitation du bonheur (2006) de Jean Rouaud (doc. 1) s’inscrit dans ce genre qu’est la métafiction historiographique : d’un côté, il aborde les questions d’ordre poétique, c’est-à-dire le questionnement du roman en tant que genre littéraire tandis que, de l’autre, il examine le discours historiographique et les conventions sur lesquelles il repose. Rappelons qu’à partir des années soixante-dix, la littérature française est profondément marquée par une réhistoricisation : s’ajoutant au renouveau du roman strictement historique de cette période-là, les récits où l’Histoire est remplacée par l’histoire comme sa version personnelle et intimiste se succèdent durant des décennies suivantes. À ce mouvement, se superpose souvent un questionnement sur l’esthétique du roman, questionnement issu à la fois de l’héritage du Nouveau Roman mais aussi du refus des avant-gardes. Dans un cadre plus vaste, ces tendances correspondent à l’apparition du genre de la métafiction historiographique. En traitant donc d’un événement historique important, la Commune de Paris, le roman L’Imitation du bonheur pourrait être classé comme roman historique. Par ailleurs, l’utopie sociale du XIXe siècle, la politique de l’altruisme, de la solidarité et la lutte pour la République représentent les intertextes du roman. Or, malgré la possibilité d’une lecture politique et idéologique de l’Histoire, ce récit ne se veut pas engagé au sens sartrien du terme.
Si l’insurrection parisienne du printemps 1871 représente le cadre spatio-temporel du récit, elle joue aussi le rôle de déclencheur qui permet à l’intrigue de se dérouler. Cette dernière se déploie tout au long du roman comme un voyage initiatique qu’effectuent les personnages principaux. Tout commence en effet avec la chute de la Commune : s’il n’y avait pas eu de répression brutale à Paris, les héros du roman – Constance Monastier et Octave Keller – ne se seraient jamais rencontrés et n’auraient pas pu tomber amoureux ; si Octave n’avait pas été un communard fugitif, ils ne se seraient jamais quittés et Constance n’aurait pas mis en pratique, dans son village, les idées révolutionnaires transmises par Octave ; enfin, s’il n’y avait pas eu d’amnistie pour les communards dix ans plus tard, les héros ne se seraient jamais retrouvés. Dans son roman, Rouaud, « théoricien de la littérature » comme le qualifie Michel Lantelme, auteur d’un des ouvrages-clés sur l’œuvre roualdienneVoir M. Lantelme, Lire Jean Rouaud, Armand Colin, Paris, 2009, p. 122, examine également de manière implicite sa propre création romanesque en sabotant les conventions du genre : celles de l’intrigue, de l’espace-temps, du narrateur et de ses personnages. Le schéma narratif de l’ouvrage obéit à la structure canonique qui part de l’introduction, passe par la culmination et le renversement, pour aboutir à un dénouement. Or, elle est constamment perturbée par l’anachronie narrative, mais également par l’insertion dans le récit de remarques métatextuelles, de références littéraires, culturelles et historiques, par la répétition des mêmes thèmes et motifs et enfin par une fin ambiguë et paradoxale. Le temps de l’action est aussi problématisé en étant relativisé, à travers la présence du narrateur dans le texte, pour devenir un lien entre passé, présent et avenir.

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