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Événement le 18/05/2013 : Rencontre autour des représentations de la Commune de Paris

Théâtre et travail : expériences et tentatives d’alternatives économiques et politique – Journée d’études (4 avril 2008)

le par theatres-politiques

Résumé

Présentation générale Considérant comme point de départ de notre réflexion l’activité théâtrale en tant que travail, c’est-à-dire effort et élaboration en vue d’une production, nous aborderons les activités artistiques, théâtrales, comme travail. Sous ce terme, il s’agit d’examiner la question des modalités d’organisation des groupes de théâtre, des processus de création, des pratiques de professionnalisation [...]

Présentation générale
Considérant comme point de départ de notre réflexion l’activité théâtrale en tant que travail, c’est-à-dire effort et élaboration en vue d’une production, nous aborderons les activités artistiques, théâtrales, comme travail. Sous ce terme, il s’agit d’examiner la question des modalités d’organisation des groupes de théâtre, des processus de création, des pratiques de professionnalisation et des frottements entre « vocation artiste » et travail collectif. Ce préalable nécessite avant toute chose d’envisager la question de la définition du travail et de la perspective sociale-historique dans laquelle elle évolue.
Le travail théâtral s’organise autour de la troupe, de la mise en commun d’expériences et de savoir-faire pour un temps plus ou moins long. Depuis le Moyen-Âge, les troupes théâtrales se sont organisées autour de systèmes économiques solidaires qui témoignent, dès cette époque, d’une vision de l’artiste en travailleur. A partir de la fin du 18e siècle, le système capitaliste implique une nouvelle définition du travail, considéré comme « moyen » en vue de l’accumulation toujours plus importante de richesses. L’économie s’instaure alors comme mode d’organisation sociale, comme « contrat social »Voir à ce propos Dominique Méda, Le Travail, une valeur en voie de disparition, « L’Invention du travail », Flammarion, coll. « Champs », Paris, 1995, p. 61-91.. Le 19e siècle verra émerger deux schèmes antinomiques du travail : d’une part un mode d’organisation du travail fondé sur la division des tâches, dans l’objectif d’augmenter au maximum la production des richesses (du capital), d’autre part le schème marxiste qui émerge à partir d’une critique du travail dans sa forme aliénée (l’homme étranger à ce qu’il produit). Ce dernier propose une « idée » du travail dans laquelle :

chacun de nous s’affirmerait doublement dans sa production, soi-même et l’autre. [...] Dans ma production, je réaliserais mon individualité, ma particularité ; j’éprouverais, en travaillant, la jouissance d’une manifestation individuelle de ma vie, et, dans la contemplation de l’objet, j’aurais la joie individuelle de reconnaître ma personnalité comme puissance réelle, concrètement saisissable et échappant à tout doute. […] J’aurais conscience de servir de médiateur entre toi et le genre humain, d’être reconnu et ressenti par toi comme un complément à ton propre être et comme une partie nécessaire de toi-même, d’être accepté dans ton esprit comme dans ton amour. […] Nos productions seraient autant de miroirs où nos êtres rayonneraient l’un vers l’autre.Karl Marx, Économie et philosophie (Manuscrits parisiens) (1844), « Notes de lecture », dans Œuvres, Économie, Gallimard, coll. « La Pléiade », tome II, Paris, p. 33, cité par Dominique Méda, Le Travail, une valeur en voie de disparition, op. cit., p. 103

Le travail offre, dans cette perspective – marxiste –, la possibilité de s’accomplir soi-même et d’exercer pleinement sa sociabilité. La création théâtrale peut faire sienne cette double acception du travail, qui relie et l’aventure personnelle, noyau intangible de toute création artistique, et le rapport à l’autre et au collectif.
Nous nous efforcerons lors de cette journée d’interroger des expériences qui ont mis en jeu la notion de troupe, de collectif et qui ont posé celles-ci comme base de travail dans une perspective d’alternative (marxiste ou autre) à un système économique qui place l’individu au service de la rentabilité économique.
Lors de la préparation de cette journée, deux périodes historiques ont retenu notre attention : les années 1920-1930 et notamment les expériences de groupes agit-propistes, et les années 1960-1970, pendant lesquelles la création collective est envisagée comme expérience politique au sein de groupes tels L’Aquarium, Le Soleil, Le Living Theater, El Teatro Campestino ou Le Théâtre de l’Opprimé. La recherche d’un « art populaire autogéré »Philippe Ivernel, « Ouverture historique (1936 et 1968) » dans Jonny Ebstein et Philippe Ivernel (dir.), Le Théâtre d’intervention depuis 1968, tome I, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1983 implique alors une refonte complète des modes de production du théâtre. Cette refonte concerne à la fois les rapports internes au groupe théâtral, la répartition des tâches, le refus dans certains cas de différencier amateur et professionnel et les réseaux de diffusion : réseaux militants, politiques, syndicaux, associatifs… En prenant appui sur ce double mouvement – organisation économique et politique de l’équipe dans son activité artistique / production de formes spectaculaires –, le travail de ces groupes peut être étudié à partir d’oppositions fondatrices de nos modes de pensée du théâtre : on envisage ici d’observer la façon dont le travail de ces équipes met en cause ces frontières traditionnellement admises. Les dualités acteur / spectateur, marge / institution, art théâtral / art de la vie, professionnel / amateur – la liste n’est pas close – offrent une structure opérante pour penser les expériences théâtrales en tant que territoires alternatifs. Elle nous servira également de point d’appui pour penser les mutations et les évolutions survenues ces dernières années.
Le binôme acteur / spectateur génère une réflexion qui corrèle la question du travail de l’acteur à celle de la participation du spectateur, condition de l’acte artistiqueVoir à ce propos Bernard Stiegler, De la misère symbolique 2. La catastrophé du sensible, Galilée, coll. « Incises », Paris, 2005.. Du spectateur intervenant du Lehrstück brechtien à l’utopie d’un théâtre sans spectateurs – uniquement constitué d’acteurs -, en passant par la présence nouvelle du spectateur du théâtre postdramatique, ou encore par l’affirmation réitérée de la nécessaire frontière, voire barrière, entre ces deux pôles de la représentation, on se propose d’examiner en quoi ces pratiques alternatives interrogent la pérennité du binôme acteur / spectateur.
Art du théâtre / art de la vie : les pratiques alternatives proposent parfois de nouvelles lectures de cette frontière qui sépare l’acte artistique d’un art de la vie. L’art serait à constituer, au bout du compte, dans la vie elle-même. De la destruction annoncée – ou annoncée comme périmée – de la dimension représentative du théâtre, à l’évocation de la pure et simple disparition de celui-ci, en passant par la présence récurrente dans certains propos des notions de simulacre et d’authenticité, on pourra observer ce qu’il en est de la transgression de la frontière entre le théâtre et la vie dans ces pratiques alternatives et de ses implications sur les enjeux politiques de ces dernières.
La « frontière » qui dissocie l’institution de la marge est un objet d’étude particulièrement opérant dans les années soixante et soixante-dix, où l’opposition affichée à l’institution est fondatrice de nombreux projets. Cette question, complexe, nous permet de penser également l’évolution, jusqu’à aujourd’hui, des rapports entre la création théâtrale et les pouvoirs publics.
Enfin nous proposons de réfléchir sur la démarcation, et son éventuelle remise en cause, entre professionnels et amateurs. Si les tentatives d’abolition de cette dernière ont été particulièrement influentes dans les années vingt et trente, puis dans certaines expériences des années soixante-dix, qu’en est-il aujourd’hui ? Quelles sont les implications économiques et politiques de cette remise en cause ? Les trajectoires professionnelles, ainsi que les processus de reconnaissance de l’artiste dans la société (dont l’intermittence, les droits d’auteurs etc.), n’entrent-ils pas, dans certains cas, en collision avec la création collective, mettant au jour des implications et des modes de coopération pluriels et parfois divergents ?