Qui sommes-nous ?
« Tout théâtre est politique », « Faire du théâtre constitue en soi un acte politique » : ce genre de déclarations, qui aurait semblé incongru voire impossible il y a cinq ou dix ans, ressurgit depuis peu dans la bouche ou les écrits d’artistes et de praticiens du théâtre qui, désormais, ne craignent plus de prononcer le (gros) mot. On n’est pas très loin du « tout est politique » des années 1970, formule à double tranchant, susceptible de générer autant de conscience que de confusion.
La constitution de notre groupe de chercheurs n’est sans doute pas tout à fait étrangère à ce nouvel air du temps. Ayant pour la plupart en commun d’étudier un théâtre qui participe de façon ouverte et déterminée aux combats politiques de son temps (ceci à différentes époques historiques), d’un théâtre il faut le dire souvent passé sous silence, minoré, voire récupéré par l’historiographie dominante, nous estimons qu’il est nécessaire, plus que jamais, d’être vigilants quant à l’emploi des mots et leur poids idéologique.
Ces études qui associent esthétique et politique, art et révolution, théâtre et militantisme, relativement délaissées pendant les décennies 1980-1990 au nom d’une prétendue autonomie de l’art, connaissent aujourd’hui une forme de renouveau. Depuis les recherches du groupe constitué au sein du C.N.R.S. (autour de Philippe Ivernel et Jonny Ebstein) à la fin des années 1970 et la parution de quelques précieux volumes [1], le paysage était resté relativement désert dans le domaine. D’où la nécessité de continuer à explorer méthodiquement le champ, de forger et d’expérimenter des outils théoriques et critiques exigeants, de penser la posture du chercheur face à la spécificité de ces objets sensibles, aujourd’hui et pour aujourd’hui.
Notre groupe, constitué en 2004 à l’université de Nanterre, rassemble des doctorants et chercheurs issus d’une génération qui a grandi dans les années 1980-1990. Le colloque « Théâtre et cinéma militants 1966-1980 » organisé à Nanterre en mai 2003 a été un lieu de rencontre, peut-être un déclencheur. Nos champs historiques, nos démarches et nos angles d’attaque diffèrent, divergent parfois. Mais le travail de groupe, en collectif, la confrontation des périodes historiques d’étude, des corpus, références bibliographiques, méthodes, savoirs, conceptions et hypothèses, nous font mesurer l’étendue et la complexité du champ de ces études, l’importance aussi du débat et du clivage des idées, pour maintenir sa démarche de recherche en éveil, tenter d’éviter les écueils de la complaisance.
Plusieurs axes de travail sont explorés par le groupe depuis sa création, à travers des approches socio-historiques et esthétiques :
- la terminologie de ce type de théâtre, ses usages et implications tant idéologiques que méthodologiques (« théâtre politique », « théâtre militant », « théâtre de propagande », « théâtre d’intervention », « théâtre populaire », « théâtre ouvrier », etc.) ;
- la conception et le rôle de l’art et du théâtre chez les théoriciens socialistes (Fourier, Proudhon, Marx et Engels, Lénine, Trotsky, Gramsci, etc.) et leur influence historique ;
- les réalisations esthétiques, théâtrales, dramaturgiques (drames et farces de la Révolution française, formes d’agit-prop, théâtre documentaire, théâtre épique, théâtre d’intervention, théâtre de l’opprimé ; Piscator, Brecht, Gatti, etc.).
L’analyse et la connaissance précises de ce théâtre et de son histoire, la relecture des textes de référence, associés à un questionnement sur les rapports multiples entre politique et esthétique, nous semblent d’autant plus indispensables que cet héritage semble méconnu aujourd’hui à ceux qui entendent faire du théâtre un instrument de lutte, d’autant plus nécessaires dans une période où circulent des discours et des formes artistiques transpirant d’idéologies inconscientes ou mal maîtrisées.
Pour le groupe, Marine Bachelot (2005)