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Événement le 18/05/2013 : Rencontre autour des représentations de la Commune de Paris

« Mais l’idée est debout » – Une pièce contemporaine sur la Commune

le par Sandra Coulaud

Résumé

Hervé Masnyou revient sur la volonté qu’il a eue, en collaboration avec l’écrivain Martial Bléger, d’inscrire la Commune dans les mémoires à l’aide du spectacle vivant. Il explique le parcours qui l’a mené d’un attachement personnel à une enquête, puis de la fouille des documents à la mise en forme d’une Affaire confiée sur scène à un héritier de l’inspecteur Javert créé par Victor Hugo. Surtout, Hervé Masnyou accepte d’éclairer son projet de redonner une mémoire à une révolution ouvrière qui, pour avoir été refoulée, fut la manifestation sanglante d’idées sans doute encore debout.

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Entretien de Sandra Coulad avec le comédien et metteur en scène Hervé Masnyou, co-auteur avec Martial Bléger de la pièce L’Affaire d’un printemps

(doc. 1)

La pièce L’Affaire d’un printemps – 1871, La Commune de Paris a été représentée pour la première fois à Paris au Théâtre de Ménilmontant le 6 juillet 2010 (doc. 1). Parue chez Art et comédie (Paris) en 1999 (doc. 2), elle retrace les événements de la Commune de Paris. Le premier tableau s’ouvre sur le couloir d’un hôpital psychiatrique en 1896. Un visiteur – le spectateur reconnaît ensuite le journaliste Maxime Delettre, un des acteurs de la Commune dans la pièce – se rend auprès de Marie, muni d’un carnet. Tandis qu’il lit le carnet du commissaire Dessourcet, c’est le drame de la Commune qui se donne à voir. Cette mémoire historique, Marie – Orianne en réalité – en a été privée par son père, qui a réussi lors de l’insurrection à la faire enfermer pour l’éloigner de Maxime, un amant jugé gênant. Le spectateur plonge, avec Maxime et Orianne, dans cette mémoire qui refait surface, celle d’une révolution populaire réprimée dans le sang à l’arrivée des Versaillais dans Paris. En particulier, il voit le commissaire Dessourcet, chargé de retrouver Orianne, passer du rôle de spectateur de la révolution du peuple à celui d’acteur des événements, alors même que les signes de la défaite deviennent de plus en plus manifestes. L’Affaire d’un printemps est donc le spectacle d’une mémoire qui avait disparu avec Orianne et qui finit par être retrouvée avec elle.

(doc. 2)

D’où est né ce projet d’écriture sur la Semaine sanglante ? Est-ce lié à un goût pour l’Histoire ? À un intérêt militant pour l’histoire de la Commune ?
C’est lié à un goût pour l’Histoire, à un goût pour les périodes où les individus doivent se déterminer assez radicalement. En fait, cette histoire est née assez banalement puisque je faisais un cadeau pour la fête des pères. Mon père aime bien la Commune, et je lui ai offert un bouquin sur le sujet. J’ai vu qu’il y avait très peu de choses en théâtre, un peu en cinéma. L’idée m’est donc venue d’écrire autour de la Commune. Ce qui existait jusque-là était assez parcellaire. À ma connaissance, à cette époque-là, il n’y avait rien qui retraçait l’intégralité de l’histoire de la Commune, ce qui est très difficile parce que c’est touffu. C’est né de là, et d’un intérêt militant aussi parce que la Commune est tout de même le premier gouvernement authentiquement ouvrier dans le monde, l’objet de la première répression sanglante dans un pays civilisé. Voilà, il y a plusieurs éléments qui nous ont fait nous intéresser à ce projet.

Ce lien entre votre histoire personnelle et la Commune explique-t-il votre choix d’ancrer l’Histoire politique dans une histoire intime, celle de deux amants qui ont été séparés ?
Non. Raconter la Commune sans être didactique, et trop casse-pieds, ce n’est jamais facile. On avait pensé au début faire un procès en révision d’un ancien communard. On s’est vite rendu compte que cela allait être lourd à mettre en scène et à écrire. Et puis, petit à petit, est arrivée cette idée de personnes dont l’histoire a été traversée par la grande Histoire. Cela permettait de créer une trame et une distance vis-à-vis des événements eux-mêmes ; aussi d’avoir un regard plus distancié.

Ce qui est frappant dans ce travail d’enchâssement de l’Histoire collective dans l’histoire amoureuse, c’est que l’amour n’est pas un thème que vous mettez en avant. Il semble que ce soit le travail de la mémoire remontant à la surface que vous mettez en scène.
Oui, une mémoire qui est sciemment occultée quand on y regarde. C’est vrai que cela change un peu maintenant. C’est une mémoire, je dirais, qui a même été sciemment édulcorée des programmes scolaires pendant très longtemps. Même des gens qui ont un niveau de connaissances et de formation élevé connaissent très mal la Commune. En téléfilm, au théâtre, il y a très peu de choses. Certes, il y a beaucoup de passionnés de la Commune, et quand un livre sort sur le sujet, il est tout de suite épuisé. Mais c’est toujours le même public : c’est-à-dire que le public ne s’agrandit pas. L’idée était vraiment de se réapproprier cette histoire-là, c’est-à-dire un patrimoine historique, d’autant qu’on a situé le projet dans le XXe arrondissement de Paris et que ce projet est né avec l’aide de la mairie du XXe. On a essayé de travailler essentiellement avec des gens issus de cet arrondissement car on souhaitait faire revivre cette mémoire.

Quelle mémoire avez-vous de la Commune ? Et lorsque vous avez travaillé avec des gens du XXe arrondissement de Paris pour monter cette pièce, quelle mémoire ou quelle perception avaient-ils de ce moment historique ?
Personnellement, j’ai eu très tôt connaissance de la Commune grâce à mon père, justement, qui avait trois ou quatre bouquins sur les événements de la Commune, des procès, etc. J’en ai eu une connaissance assez tôt, sans plus que cela m’y intéresser. Du moins, je savais que cela avait existé. J’ai d’abord travaillé à un projet [De terre et de sang] sur la guerre 14-18 où les gens ont aussi eu à se déterminer. Finalement, je me suis rapproché tranquillement de la Commune en me disant que c’était aussi un bon matériau pour travailler ce genre de situation au théâtre. Mon collègue Martial connaissait moins la période, mais quand je lui en ai parlé il a été séduit et il s’est plongé tout de suite dans le bouquin qui fait référence : le LissagarayP.-O. Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, François Maspero, Paris, 1972. Il a vraiment été passionné. Et on a commencé à échanger et à construire le scénario de cette pièce. Parmi les comédiens, il y avait vraiment deux groupes. Certains d’entre eux sont arrivés en voyant les affiches, parce que c’était la Commune. C’était très clairement des gens qui connaissaient la période, qui étaient militants, qui avaient envie que cette mémoire existe. D’autres sont arrivés parce que c’était du théâtre. Certains sont arrivés en ne connaissant strictement rien, ou très peu, et tous se sont vraiment intéressés après à la Commune. J’ai une anecdote à ce sujet : un jour, j’ai croisé dans une laverie à côté de chez moi un des comédiens en train de lire le livre de Lissagaray. J’ai trouvé cela assez fantastique. Le projet a vraiment motivé les comédiens à découvrir ce qui s’était passé. Ceux qui ne connaissaient pas ont été assez stupéfaits de voir l’importance que cela a eue et l’occultation qu’on en a faite.

Est-ce que cela a joué sur la façon dont les comédiens ont incarné les rôles ? Ont-ils eu le sentiment d’incarner une mémoire ? de participer à un événement collectif, d’autant qu’ils étaient très nombreux ?
Je ne sais pas. En tout cas, ce qu’on leur disait avant la représentation, c’est qu’ils étaient, de fait, un peu les porteurs, les activateurs d’une mémoire. D’une certaine façon, ils devaient être à la hauteur de ce qui s’était passé, des gens qui avaient donné leur vie à un moment donné pour cet idéal. Je pense que cela les a motivés.

L’enquête est un élément très structurant dans L’Affaire d’un printemps. Il y a deux figures d’enquêteurs dans la pièce : le commissaire Dessourcet et le journaliste Maxime Delettre qui achève l’enquête du commissaire et retrouve Orianne.
Avant de trouver la relation entre le journaliste et Orianne, l’enquêteur était vraiment le fil directeur. C’était autour de lui que s’organisait toute la pièce, pour des raisons importantes : c’est ce personnage qui symbolise d’abord toute une organisation sociale, et qui représente quelqu’un de loyal, de légitimiste d’une certaine façon. Et c’est ce personnage qui évolue le plus au cours de la période jusqu’à finir sur une barricade. Donc le commissaire est vraiment le moyen de montrer une prise de conscience, puis une rupture d’époque. Tout tourne autour de lui, l’enquête étant finalement assez secondaire. C’est une enquête assez banale : on cherche quelqu’un qui a disparu. Il s’agit d’un prétexte pour voir des endroits et des personnages de Paris. Maxime et Orianne sont venus beaucoup plus tard parce que, avant d’imaginer que ce soit Maxime qui termine l’enquête, on avait imaginé que c’était le fils du commissaire qui, ayant retrouvé son carnet, décidait d’achever l’enquête. Un moment, est venue l’idée que ce serait beaucoup plus fort de construire cette relation intime qu’on ne voit jamais, qu’on ne voit qu’à la fin. Maxime revient de déportation et se sert du carnet du commissaire Dessourcet donné par son fils pour retrouver la femme qu’il aime et qui a disparu durant la Commune. Mais c’est venu après. Vraiment, l’élément structurant, c’est le commissaire.

Le personnage de Dessourcet n’est pas banal dans cette posture de héros, en particulier dans une pièce qui naît d’un intérêt militant.
Oui, je pense qu’on a pensé à Victor Hugo et au personnage de Javert, l’inspecteur de police dans Les Misérables. Là aussi, c’est un personnage très important. Lorsqu’il se rend compte de l’impasse où son enfermement l’a conduit, il se suicide. On a utilisé cette même prise de conscience, mais le personnage du commissaire est évolutif. On ne le fait pas s’arrêter. Il est intéressant car avoir un représentant de l’ordre qui est nommé par la Commune comme cela s’est fait réellement – il avait donc la légitimité pour conduire les choses – cela permettait de mettre aussi en lumière le fatras et les égarements parfois de l’organisation de la Commune. C’est vraiment lui le pilier, plus que les autres.

Vouliez-vous créer un personnage qui ait l’ambiguïté de l’humanité puisqu’on le voit évoluer ?
Peut-être qu’on imaginait avec ce personnage le trajet qu’on souhaitait que chaque spectateur fasse. L’idée était qu’une certaine méconnaissance ou qu’une attitude étonnée à l’égard de la Commune évolue plutôt favorablement.

Le personnage du commissaire a quelque chose d’héroïque. Mais il semble que vous ayez choisi la sobriété en n’allant pas du côté du héros d’épopée. Est-ce une façon de refuser les effets pompeux, même si ce personnage force l’admiration ?
Il y a un parti pris plutôt communard évidemment dans la pièce. En même temps, on ne cherche pas du tout à cacher les errances de la Commune et le personnage du commissaire est important pour les révéler. Surtout, on a investi le personnage du commissaire de beaucoup d’humanisme. Au cours de la pièce, il y a un échange important entre lui et Maxime sur ce qu’il convient de faire. On voit un Maxime beaucoup plus radical et un commissaire qui, tout en n’étant pas opposé idéologiquement, n’est pas prêt à utiliser tous les moyens pour parvenir à ces fins. D’ailleurs, le commissaire lui rappelle qu’il connaît le prix à payer car son père est mort durant les journées de 1848. Donc, il sait très bien où peut conduire la radicalité. Il n’est pas opposé, mais il met la préservation de la vie avant toutes fins utiles. Disons que c’est la rencontre entre un idéal révolutionnaire et la question qui se pose inévitablement, qui est « comment on fait ». Qu’est-ce qu’on fait ? C’est le fameux « que faire ? » de Lénine. Je ne sais pas, mais les circonstances sont là. La situation est celle-ci. Qu’est-ce qu’on fait ? C’est une question qui ne sera jamais complètement résolue. Mais, c’est la rencontre, grâce à ces évènements, avec l’envie de transformer la société dans un sens plus juste et plus humaniste. Comment on fait quand la répression arrive ? C’est évidemment très difficile d’apporter une réponse…

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