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Événement le 18/05/2013 : Rencontre autour des représentations de la Commune de Paris

Commentaire de La Commune d’Ary Ludger

le par Jean-Louis Robert

Résumé

Le drame La Commune est aussi inconnu que son auteur, Ary Ludger, secrétaire de la rédaction du journal militant local qui, en 1908, en imprima l’intégralité. La reproduction de cette pièce – en 5 actes et 8 tableaux – est suivie de son commentaire par un historien, spécialiste de la période.

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Présenter la pièce d’Ary Ludger, La Commune, n’est pas tâche facile, tellement nous manquons d’informations sur l’auteur, les circonstances dans laquelle elle a été écrite, etc.

L’auteur
Sur l’auteur nous ne connaissons même pas sa date de naissance (il ne figure pas dans le célèbre dictionnaire biographique du mouvement ouvrier dirigé par Jean Maitron ; il n’est sur aucune liste de communards, il est absent des dossiers de la Préfecture de police…). Certains écrits de 1908 laissent entendre qu’il aurait vécu les événements de 1871, mais à quel âge ?
Nous ne trouvons donc de traces d’Ary Ludger qu’en 1891 car sa pièce est refusée par la censure. Son adresse, 2 rue Cherubini, est indiquée dans le dossier des Archives nationales mais on ne retrouve pas de Ludger à cette date sur les listes électorales du 2e arrondissement. Peut-on imaginer qu’il a des liens avec Maxime Lisbonne puisque c’est au Théâtre de la Villette, en février 1891, que sa pièce devait être jouée, alors que Lisbonne venait tout juste de prendre la direction du théâtre ? Est-il de la famille de comédiens homonymes dont on relève la présence dans différents spectacles sur scène à Paris entre 1885 et 1914 ?
Nous retrouvons ensuite Ary Ludger en 1894, à Frontignan, petite ville à proximité de Sète, où il est employé dans une maison de commerce. Il signe alors un pamphlet, Panama, en vers, et qui dénonce très violemment les élites corrompues de la République. Plus aucune trace ensuite d’Ary Ludger jusqu’en 1908 où il réapparaît comme secrétaire de rédaction (et principal rédacteur) d’un journal socialiste de la Gironde, La Vérité, diffusé dans la région de Lesparre. Journal qui soutient les positions de l’aile révolutionnaire du Parti socialiste et qui va éditer le texte intégral de la pièce de Ludger sur la Commune.
Cet itinéraire reste donc en pointillé. Même si l’on sent une vie d’adhésion à la radicalité révolutionnaire, accompagnée d’une dénonciation constante de la corruption des élites, fussent-elles républicaines.

Le contexte
Quand Ludger a-t-il écrit la pièce ? On peut penser qu’elle était destinée à la commémoration du 20e anniversaire de la Commune et, donc, écrite dans le courant de l’année 1890. Une année difficile pour la République qui sort tout juste de la crise boulangiste (Boulanger ayant rallié une petite partie des socialistes blanquistes) qui traduisait, pour partie, le mécontentement populaire contre la République opportuniste. Car en 1890-1891, sévit la « Grande dépression », une des pires périodes jamais vécues par les classes populaires.
En même temps ce sont des années de reconstruction et d’essor du mouvement socialiste et syndicaliste (création du parti ouvrier socialiste révolutionnaire par le communard Allemane, premières manifestations du 1ermai…). Ludger baigne donc dans cette atmosphère complexe à la fois marquée par le retour de l’espérance transformatrice et un pessimisme social sur la République.

Une pièce jamais jouée !
La pièce était destinée au Théâtre de la Villette (elle est même annoncée dans la presse dans le courant de février 1871). Le Théâtre de la Villette (qui devient quelques années après Les Folies parisiennes) était situé 29 rue de Flandre (bâtiment aujourd’hui disparu). Au cœur d’un quartier qui avait vu club et barricades pendant la Commune, le théâtre donnait volontiers dans la pièce révolutionnaire. De très nombreuses réunions politiques s’y tenaient. En décembre 1890, on y avait donné, avec beaucoup de succès, la pièce de Louise Michel, La Grève. Rien d’étonnant, donc, que Maxime Lisbonne, qui avait fait jouer en 1889 La Mort de Delescluze dans sa Taverne des frites révolutionnaires, ait tenté de donner, en février 1891, la pièce d’Ary Ludger dans le Théâtre de La Villette. Mais le couperet tombe le 25 février 1891, la censure interdit la pièce (aucun motif n’est explicité dans le dossier aux Archives nationales). On ne trouve guère de traces de protestations devant cette décision ; mais peut-être le contenu de la pièce d’Ary Ludger l’explique-t-il ? Nous y reviendrons.

Il est temps, donc, d’aborder le contenu de cette pièce qui n’a jamais été jouée et n’avait été lue que par une poignée de républicains socialistes avancés du Bordelais en 1908 ! En aucun cas donc, on ne cherchera à répondre ici à la question de l’accueil ou de l’écho de cette pièce inconnue…

La pièce
Chacun, à la lecture du texte, pourra se faire une opinion, mais il importe de noter quelques éléments importants.
Et tout d’abord noter que la pièce n’est pas sans qualités théâtrales. L’organisation paraît solide en actes, tableaux et scènes qui s’enchaînent correctement. Sans être spécialiste de la question, je pourrais noter que les indications scéniques pourraient contribuer à fabriquer une pièce vivante et sensible.

Un conte moral
Par ailleurs dans l’Histoire est construite, suivant un procédé assez classique, une histoire qui, sans doute, n’a rien de très originale, mais qui permet à certains moments d’ajouter une émotion ou une adhésion. Ce petit roman moral dans la pièce met en scène cinq personnages. Bismarck, présenté comme un friand amateur de Parisiennes (de nombreux libelles de la propagande française pendant la guerre franco-prussienne de 1870-1871 montraient le chancelier allemand sous cet aspect d’homme à femmes prêt aux pires violences pour satisfaire sa faim sexuelle). Son homme à tout faire, Flahutt, lui présente la jolie Julie Raison. Le père de Julie est un bistrotier communard qui n’a pas hésité à casser son bâton sur la tête d’un soldat prussien incorrect à l’égard de sa fille. Il est condamné à mort. Julie obtiendra sa grâce en se livrant à Bismarck.
Bien sûr, Julie a un amoureux, le lieutenant de l’armée (mais rallié à la Commune) Raoul Mondroit, à qui elle ne peut dire la vérité. Et une incompréhension s’établit entre les deux amants. La réconciliation ne pourra se faire que dans les dernières heures de la Semaine sanglante et l’affreux Flahutt sera abattu par le père Raison.
Ce petit conte qui reprend nombre de traits du roman populaire du 19e siècle (la jeune fille séduite et vertueuse, le charme de la Parisienne, le jeune amant peu compréhensif, la vengeance paternelle…) est aussi une occasion de dénoncer le système de domination sexuelle des puissants sur le peuple.

Des erreurs énormes pour construire un mythe ?
Surtout, il y a lieu de s’interroger sur les énormes libertés prises par l’auteur avec les faits. Sans doute une pièce de théâtre, comme un roman, prend souvent des libertés avec l’histoire, mais ici Ludger va très loin. Était-il très ignorant de la Commune ? Certes L’Histoire de la Commune de Lissagaray ne paraît en France, dans son édition définitive, qu’en 1896, mais des éditions en circulaient depuis 1878 ; et d’innombrables livres de souvenirs étaient déjà parus en 1890. On est en droit de penser que Ludger n’était pas tant ignorant et qu’il a délibérément fabriqué une suite de tableaux qui n’ont qu’un caractère symbolique au détriment de l’Histoire.
Il est nécessaire ainsi de relever les erreurs (volontaires ?) les plus grossières présentes dans la pièce ; c’est ainsi que l’on peut aller à la compréhension de la Commune mythique de l’auteur.

La Commune ou le peuple contre toutes les dominations
Dans l’acte II, 1er tableau, scène II, le père Raison explique le programme communard ou l’idée communarde. Sans doute certains aspects sont-ils très justes (le fédéralisme communard, la volonté d’une vraie souveraineté du peuple, l’instruction intégrale, l’abolition des armées permanentes, l’élection des hauts fonctionnaires, la liberté, etc.). Toutefois bien des éléments donnés sont de pures inventions de l’auteur : la suppression des impôts iniques, les ateliers nationaux, la retraite à 50 ans, la suppression des députés, sénateurs, président de la République, la création d’un conseil national qui ne s’occuperait que de l’économie sociale, tout ceci n’était absolument pas dans les déclarations de la Commune. A contrario, d’autres aspects des grands textes communards ne sont pas évoqués (la République au-dessus de tout, la laïcité, la réquisition des ateliers et des logements vides etc.).
On trouve aussi des éléments des idées de la Commune dans l’acte III, 2e tableau, scène II avec l’intervention prêtée à Louise Michel le 18 mars. La Commune veut dépasser la Révolution de 1789 qui a donné de nouveaux maîtres au peuple. Pour la révolution d’aujourd’hui, il s’agit de « détruire tous les maîtres et tous les esclavages » ; tous les « oppresseurs de la pensée et du droit des gens ».
On sent ainsi comment l’auteur présente la Commune d’abord comme un mouvement révolutionnaire contre toutes les dominations (et en premier lieu de l’État et de ses fonctionnaires) et avance des éléments de programme plus proches de la situation de 1890 que de celle de 1871.

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