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Événement le 18/05/2013 : Rencontre autour des représentations de la Commune de Paris

Théâtres politiques : (en) Mouvement(s), Christine Douxami (dir.)

le par Audrey Olivetti et Laure Porta

Résumé

Presses universitaires de Franche-Comté, coll. « Les Cahiers de la MHSE Ledoux », Besançon, 2011, 354 p. (ISBN : 9782848673943) Réaliser un compte-rendu sur les actes d’un colloqueCet ouvrage a été réalisé suite au colloque éponyme les 3, 4, 5 avril 2007 organisé par Christine Douxami à l’Université de Franche-Comté et à l’IUFM de Besançon. [...]

Presses universitaires de Franche-Comté, coll. « Les Cahiers de la MHSE Ledoux », Besançon, 2011, 354 p. (ISBN : 9782848673943)

Réaliser un compte-rendu sur les actes d’un colloqueCet ouvrage a été réalisé suite au colloque éponyme les 3, 4, 5 avril 2007 organisé par Christine Douxami à l’Université de Franche-Comté et à l’IUFM de Besançon. n’est jamais une tâche aisée : saisir l’ensemble des contributions dans un mouvement de synthèse nécessite toujours de faire des choix, surtout dans le cas d’un champ de recherche vaste et en pleine mutation tel que celui des « Théâtres politiques » d’hier et aujourd’hui. D’emblée, le titre nous met en garde contre la réduction hâtive d’un concept trop de fois galvaudé. Il n’existe pas de « Théâtre Politique » anhistorique qui serait ontologiquement défini. L’enjeu est ailleurs : il est justement de poser un cadre de réflexion contextualisé, qui intègre la pluralité des approches pratiques et théoriques que sous-tend l’articulation dynamique « théâtre » et « politique », sans pour autant le diluer dans une catégorie « fourre-tout ». Loin des lieux communs dont il est souvent la cible – non, le théâtre politique ne se réduit pas à un théâtre de tribune politique – il est ici interrogé dans sa complexité, témoignant ainsi de la volonté des auteurs de revaloriser à la fois les esthétiques et le champ de recherche qui lui sont associés.
Les vingt-cinq contributions que Christine Douxami, maître de conférences en Arts du spectacle à l’Université de Franche-Comté, a réunies dans cet ouvrage, dressent un panorama riche d’expériences et de théories relatives au théâtre politique. Riche dans sa dimension historique, ce qui permet d’ancrer la réflexion dans une nécessaire généalogieGénéalogie qui s’enracine à la fois dans le théâtre grec et dans la théorisation du théâtre politique revendiquée comme telle au début du XXe siècle (Meyerhold, Piscator, Brecht…). Elle aborde des pratiques théâtrales plurielles, toutes inscrites dans une lutte d’émancipation, souvent empreintes d’une volonté de conscientisation. Elle dresse ainsi un inventaire non exhaustif de ce qui a pu être expérimenté jusque dans les années 70 (Adamov, Gatti, Weiss, Benedetto, Al Assifa, Living Theatre…) pour revenir sur les enjeux contemporains, notamment au travers du prisme des nouvelles identités politiques, ethniques, communautaires… conceptuelle et pratique, tout en saisissant les mutations sociopolitiques et militantes dans lesquelles s’inscrivent les pratiques théâtrales. Riche dans sa dimension internationale, ce qui permet d’élargir le champ d’une vision trop souvent occidentalo-centréeLes auteurs du recueil convoquent des expériences brésiliennes, irakiennes, nord-américaines, anglaises, portugaises, françaises, italiennes, algériennes, mexicaines, grecques antiques, allemandes, d’Afrique noire francophone et anglophone.. Riche enfin dans la diversité du corpus abordé ainsi que des méthodologies et des disciplines sollicitées. L’exercice est difficile tant l’exigence du panorama est toujours à double tranchant : si elle permet une approche complexe, évinçant les dangers dogmatiques, elle encourt toujours le risque du foisonnement d’une compilation.

Plusieurs articles esquissent un cadre de définition qui éclaire la notion parfois nébuleuse dans laquelle le théâtre politique est souvent ramené, édulcorant ainsi les enjeux à proprement dits politiques. Ainsi, après avoir mis en exergue les écueils à éviter, Olivier Neveux insiste notamment sur plusieurs critères qui permettraient aujourd’hui de définir le théâtre politique comme : « a) un évènement rare, b) hétéronome, c) placé sous condition de la politique, d) celle-ci entendue dans son sens générique comme rencontre exceptionnelle de la logique policière et de la logique égalitaire, e) soit, toujours inédite et inouïe ? » (p. 137). Son approche rancièrienne incite à saisir le théâtre politique dans ses formes esthétiques en les comprenant dans une stratégie politique. Le mérite de poser ces critères est que, bien que sujet à débat (et tant mieux), ils obligent à se positionner, à reposer la question du/de la politique dans une époque où l’on nous réduit au consensus en nous assenant le constat d’une paralysante dépolitisation de la société. De son côté, Jean-Marc Lachaud tente d’appréhender les mutations du théâtre politique dans une perspective généalogique. Dans une approche également rancièrienne, il dégage une pluralité des thèmes de luttes contemporaines et des poches de résistances à l’heure où culmine l’art postmoderne, qui s’assume comme tel dans tout ce qu’il contient de « misère symbolique » pour reprendre les mots de Bernard Stiegler (p. 141-158). À partir des expériences d’agit-prop, Philippe Ivernel, quant à lui, affine les modélisations de définition en reposant la dialectique entre théâtre de représentation et théâtre d’intervention (p. 53-70). En questionnant les transformations structurelles du militantisme, Marine Bachelot souligne les hybridations contemporaines du « théâtre militant » et met en exergue son évolution vers des dramaturgies de constat plus que de combat (p. 165-166). Quant à Bérénice Hamidi-Kim, elle interroge deux conceptions contemporaines du théâtre politique au travers des mutations du théâtre de lutte et du théâtre postpolitique (p. 169-183).

De ces réflexions émergent l’ouverture du corpus et des typologies possibles ainsi que la nécessité de croiser les approches méthodologiques. Dans une volonté de décloisonnement des cadres d’analyse, cet ouvrage rassemble une multitude d’outils jouant d’interdisciplinarité : historique (Marjorie Gaudemer, p. 31-42), sociologique (Christophe Annoussamy, p. 185-200), dramaturgique (Clare Finburgh, p. 263-276), anthropologique (Christine Douxami, p. 329-339), ethnographique (Daniela Maria Amoroso, p. 237-247), etc.
La parole des praticien.nes n’est pas non plus en reste dans cet ouvrage. La pratique du théâtre politique peut être accompagnée d’une critique auto-réflexive des artistes. Il est souvent instructif de s’en saisir pour appréhender plus précisément la question de l’intentionnalité manifeste ou latente et des effets recherchés lorsque ceux-ci ou celles-ci se revendiquent ou non comme participant du théâtre politique. Ainsi Martine Maleval revient sur les analyses critiques que Geneviève Clancy et Philippe Tancelin ont réalisées sur leur pratique dans Les Tiers Idées (p. 97-107). De son côté, Christophe Annoussamy pointe le désenchantement d’Hanif Kureishi quant à sa tentative d’ « écriture de l’interrogation » et de complexification de la parole des immigrés qu’il met en scène notamment dans Borderline (p. 185-199). Les témoignages d’Anne Monfort et Serge Nail, dans leur forme même, donnent corps à leurs réflexions sur l’articulation de l’intime et du politique (p. 277-291).

Les ramifications permises par l’ouverture du corpus, l’élargissement du cadre spatial et l’interdisciplinarité s’entrecroisent notamment sur la question épineuse de la notion de « théâtre populaire » ainsi que sur les deux grands axes de réflexion contemporaine que représentent les questions identitaires et la rénovation du « théâtre documentaire » comme alternative au système médiatique dominant.
Ainsi un dialogue à la fois historique et international s’instaure sur la notion de « théâtre populaire » : celle-ci est abordée à travers divers articles par l’analyse, d’une part, des formes du théâtre d’intervention tel l’agit-prop et, d’autre part, des pratiques brésiliennes telles que le cavalo-marinho (Laure Garrabé, p. 225-235) ou la samba-de-roda (Daniela Maria Amoroso, p. 237-247). La contribution de Stéphane Hervé sur le théâtre impopulaire de Pasolini enrichit fortement le débat pour cerner au plus près en quoi cette notion se révèle problématique (p. 249-261).
De la même façon, les trois approches du « théâtre documentaire » développées par Clare Finburgh, Brigitte Joinnault et Marine Bachelot, permettent de mieux saisir la permanence et le renouvellement de cette forme de théâtre politique, les enjeux esthétiques qu’il sous-tend et ceux relatifs à l’impact et à la réception attendus, en fonction du contexte dans lequel il s’inscrit.
Enfin, en résonance avec les nouvelles problématiques posées au corps politique et social par l’immigration et les situations post ou néo-coloniales, l’émergence d’un théâtre dit « de quête identitaire » est décortiquée à l’aune d’analyses – plus ou moins égales – de pièces et de parcours de compagnies à la fois en Grande Bretagne, en Irak ou encore aux États-Unis. La « réappropriation d’une identité positive de populations en mal de représentation » (p. 11) soumet ce type de théâtre à des tensions contradictoires comme le montrent bien les articles de Christophe Annoussamy (p. 185-199) et d’Ophélie Landrin (p. 201-212).

Comme le rappelle Olivier Neveux, il s’agit plus que jamais de répondre à Bernard Dort qui, déjà en son temps, avertissait : « On parle beaucoup aujourd’hui de ‘théâtre politique’. Or cette expression reste imprécise, sinon obscure. […] Elle est en tout cas impossible à définir dans l’abstrait, sans référence aux formes et aux usages de la pratique théâtrale à tel ou tel moment donné, dans telle ou telle situation politique concrète. »Bernard Dort, Théâtre réel. Essais critique. 1967-1970, Seuil, Paris, 1971, p. 267, cité par Olivier Neveux dans « Dix notes sur ce que « Théâtre politique » pourrait signifier », p. 126.. C’est bien à l’aune de cette préoccupation que ce recueil d’articles ouvre des pistes de recherche dans lesquelles le lecteur ou la lectrice pourra puiser pour sa propre réflexion, pistes qui n’attendent que d’être prolongées.

Audrey Olivetti et Laure Porta

Pour citer cet article : Audrey Olivetti et Laure Porta, « Théâtres politiques : (en) Mouvement(s), Christine Douxami (dir.) », Revue Théâtre(s) politique(s), n°1, 03/2013 – URL : https://theatrespolitiques.fr/2013/03/christine-douxami-dir-theatres-politiques-en-mouvements/

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