Usages idéologiques du texte de théâtre
le par theatres-politiques
Résumé
Comment utilise-t-on un texte de théâtre ? Comment le fait-on servir à un but autre que sa jouissance ou sa connaissance ? Même si toute interprétation, aussi neutre qu’elle se veuille, est appropriation, certains gestes critiques semblent faire sortir l’interprète du champ de l’herméneutique pour le faire entrer de facto dans celui de l’utilisation. Ce [...]
Comment utilise-t-on un texte de théâtre ? Comment le fait-on servir à un but autre que sa jouissance ou sa connaissance ? Même si toute interprétation, aussi neutre qu’elle se veuille, est appropriation, certains gestes critiques semblent faire sortir l’interprète du champ de l’herméneutique pour le faire entrer de facto dans celui de l’utilisation. Ce nouveau numéro de la revue Fabula-LHT voudrait s’interroger sur la limite problématique qui sépare l’herméneutique de l’usage du texte. Les différences ne sont-elles que d’intention (servir / faire servir) et d’esprit (respect / irrespect) ? Ne doit-on pas se demander si le changement d’intention critique implique un changement de procédure ? Ces questions semblent particulièrement cruciales pour le texte de théâtre, qui se prête plus évidemment que d’autres à des opérations de lecture idéologique, comme en témoignent tant de mises en scène.
Sans doute le principe global de l’interprétation idéologique consiste-t-il la plupart du temps à mener une vaste opération d’allégorisation : transformer un texte de théâtre en allégorie politico-sociale. Mais quelles opérations de lecture précises la sous-tendent et la permettent ? On pourra se demander sur quels types de structures dramaturgiques portent ces opérations de lecture, et ce qu’elles leur font subir. De quelle manière sont traitées les caractérisations des personnages ? Quels subterfuges poussent le spectateur à leur en attribuer de nouvelles ? Que subit le système des motivations ? Revient-on toujours à un principe classique de démotivation et de remotivation ? Qu’advient-il des structures de la fable, de la logique des actions ?
Ce numéro de Fabula-LHT souhaite s’intéresser, sans exclusive, aux deux grands champs de l’usage idéologique du texte dramatique.
La mise en scène, au premier chef : depuis sa naissance, à la fin du XIXe siècle, jusqu’à aujourd’hui, elle se meut dans une double logique d’affirmation de soi (le metteur en scène devient le véritable auteur du spectacle théâtral) et d’action politique. Elle s’affirme ainsi comme le paradigme même de l’usage du texte. De Meyerhold qui, en 1922, met en scène le Cocu imaginaire de Crommelynck sur une scène constructiviste pour en faire ressortir l’improbable « dynamisme industriel », au brechtisme à la française des années 1960, qui relit systématiquement nos classiques pour y montrer la présence allégorisée de la lutte des classes, existe-t-il de grandes constantes (gestes de technique scénique et opérations de lecture), dont on puisse dire qu’elles constituent l’usage du texte, et qu’elles se distinguent radicalement comme procédures herméneutiques singulières ? Corneille pourra peut-être faire office de « cas d’école » en la matière, lui qui, davantage encore que Racine et Molière, a été soumis au cours du XXe siècle, à tous les usages scolaires et idéologiques.
L’interprétation critique idéologique ensuite, dont l’histoire est aussi longue que celle du théâtre lui-même. Quelles procédures de lecture mettent en oeuvre Victor Hugo relisant Shakespeare dans l’idée de « l’art pour le progrès », les critiques de la IIIe République relisant les classiques français pour affermir ses fondements culturels, Lucien Goldmann relisant Racine ? Existe-t-il, en-deçà des différences de grille d’analyse idéologique, un substrat commun à leurs procédures critiques, qui les distingue de celles qui prétendent ne s’intéresser qu’au texte lui-même et le servir ? Plutôt qu’une série métacritique d’études de cas, ce numéro de Fabula-LHT souhaiterait constituer une réflexion sur la spécificité ou la non-spécificité des opérations d’interprétation idéologique, sur ce qui les distingue au sein du champ de l’herméneutique, mais aussi sur la spécificité du théâtre en la matière : quels gestes critiques particuliers appelle la structure du texte de théâtre – le mode dramatique ? Qu’est-ce qui distingue le détournement d’un texte théâtral du détournement des autres types de fiction ?
Jean de Guardia
Maître de conférences en littérature française
Responsable du Master Enseignement
Université Paris-Est Créteil
Les articles sont à envoyer avant le 31 mars 2012 à Jean-Louis Jeannelle (jeannelle@fabula.org) et à Jean de Guardia (jean.deguardia@u-pec.fr), directeur du numéro – ils seront soumis anonymement au comité de lecture de Fabula-LHT.