Le Théâtre de la démocratie – Pratiques délibératives des Anciens, résonances modernes
le par theatres-politiques
Résumé
Dans l’Athènes du Ve siècle avant notre ère, le théâtre et la démocratie sont indissociables, car le théâtre a pris forme sous la démocratie et qu’il se nourrit de politique – c’est d’ailleurs pourquoi Platon les inscrit dans un même geste critique, aussi lucide que radical. Mais on ne peut s’en tenir à ce constat, et la réflexion sur les rapports complexes entre la pratique de la politique et celle du théâtre en démocratie nécessite d’être prolongée, aussi bien dans le temps (quels échos la théâtralité de la démocratie athénienne a-t-elle eus à différentes époques ?), que dans l’espace (le théâtre est-il nécessaire à toute démocratie, ou seulement au
système athénien ?).
Le colloque s’organisera autour de trois grands axes :
1) Démocratie et théâtre dans l’Athènes classique, où l’on s’interrogera sur les origines athéniennes de la notion de scène politique. En effet, le préjugé selon lequel la théâtralité est le signe d’une dégradation de la vie publique, réduite ainsi à de la « politique-spectacle », a encore de nos jours la force de l’évidence. Quelles conditions matérielles, sociales et idéologiques ont contribué à forger ce topos, théorisé par Platon notamment ? À en croire Thucydide et Aristote, Cléon, dans les années 420 avant notre ère, aurait été le premier orateur à vociférer et à se débrailler à la tribune de l’Assemblée, bref, à choquer volontairement ses concitoyens réunis pour délibérer et à dévoyer ainsi leurs débats. Si la période précédant la mort de Périclès est généralement décrite comme une période de consensus éclairé par l’intelligence d’hommes politiques avisés, en revanche, les trois dernières décennies du Ve siècle sont disqualifiées comme étant « l’ère des démagogues », qui se faisaient acteurs pour mieux séduire un peuple sans discernement. Le dèmos serait-il brutalement devenu ce « peuple-spectateur » qu’Aristophane met en scène dans les Cavaliers ? Thémistocle, Éphialte, Périclès n’avaient-ils pas besoin, eux aussi, de gesticuler, d’utiliser un langage haut en couleur, de parler fort pour se faire entendre par les quelque six mille citoyens qui se pressaient sur la colline de la Pnyx ? La mise en représentation du politique n’était-elle pas présente dès les débuts de la démocratie, parce que nécessaire, dans les conditions où celle-ci s’exerçait ? Faire du théâtre à la tribune de la Pnyx, n’était-ce pas un moyen pour le dèmos de partager le savoir, donc le pouvoir ? Certes, on sait qu’Athènes a beaucoup changé entre ces premiers temps et l’époque de Cléon, puis celle de Démosthène et Eschine. La guerre du Péloponnèse (431-404 avant J.-C.) et les deux coups d’État oligarchiques successifs (411 et 404/403 avant J.-C.) ont profondément bouleversé la cité, sa composition sociale, ses structures économiques, idéologiques et politiques. Y a-t-il une corrélation entre cette évolution et celle des contenus et des techniques développés par les professionnels du théâtre ? Comment, dans ce contexte nouveau, la mise en représentation du politique est-elle pensée et vécue ?
2) La réception de la théâtralité démocratique, des Anciens aux Modernes. Dans quels contextes idéologiques et politiques la référence à la théâtralité de la démocratie athénienne a-t-elle été évoquée pendant et après l’Antiquité ? Révélateur de la nature profonde du régime athénien pour Thucydide et Platon, le théâtre a continué à servir d’argument anti-démocratique dans l’historiographie qui pourfend la « démagogie » comme l’un des péchés capitaux de la souveraineté populaire, tout en trouvant une place légitime et valorisée parmi les techniques rhétoriques. À Rome, par exemple, à l’heure de la République, Cicéron, comme Quintilien sous l’Empire, recommandent à l’orateur de se faire acteur, même si l’auteur de l’Institution oratoire rappelle que l’orateur ne doit pas confondre la scène et la tribune, soulignant notamment qu’il ne faut pas, « en visant l’élégance de l’acteur, perdre l’autorité de l’homme de bien et de poids » (XI, 3, 181). Comment le jugement porté sur cette théâtralité a-t-il varié selon l’intention des savants et des politiciens, selon les époques et les lieux ? L’argument antidémocratique de la théâtralité des assemblées a-t-il été repris, adapté, réfuté ? Comment a-ton relu Platon sur cette question ? Lorsque, dans la pratique politique postérieure, la démocratie athénienne devient un modèle à imiter ou à éviter, qu’advient-t-il de la théâtralité ? Est-elle reprise également, consciemment ou inconsciemment ?
3) Enfin, en quittant Athènes, il convient de se demander si la tension entre théâtre et participation dialogique du peuple, qui constitue le fondement du topos de la « politique-spectacle », se retrouve en d’autres temps et d’autres lieux. Il s’agira ici de faire dialoguer des anthropologues, des historiens, des sociologues et des politistes sur des formes de démocratie construites sans référence directe au modèle athénien ou en rupture avec ce modèle, qu’elles soient anciennes ou modernes, occidentales ou non. On se demandera notamment si le spectacle politique produit fatalement de la politique-spectacle et s’il s’oppose par nature au débat citoyen. Dans cette perspective, il s’agira en particulier d’interroger la place attribuée au spectaculaire dans les différents lieux de participation politique. Un des questionnements que ce colloque voudrait contribuer à explorer est celui de l’existence d’une tension entre le spectacle comme mode de participation et l’avènement contemporain d’un « impératif délibératif », selon la formule de Loïc Blondiaux et Yves Sintomer – on renvoie ici aux discours politiques ou savants se développant aujourd’hui sur les vertus de la démocratie délibérative, et à l’institutionnalisation de divers dispositifs dont l’ambition est d’accroître la participation des citoyens par la discussion collective d’enjeux publics.
Les propositions de communications sont à adresser avant le 12 février 2012 à Noémie Villacèque.