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Événement le 18/05/2013 : Rencontre autour des représentations de la Commune de Paris

L’Opéra de quat’sous

le par theatres-politiques

Résumé

texte de Bertolt Brecht musique de Kurt Weill mise en scène de Laurent Fréchuret direction musicale de Samuel Jean

L’Opéra de quat’sous est une fête théâtrale, portée par une horde affamée de jeu et de chants. Le Centre dramatique national de Sartrouville convie tous les vivants à habiter ce monument du théâtre !

L’Opéra de quat’sous est l’occasion de jouer avec urgence une comédie pour résister par le plaisir, démonter joyeusement, et en musique, l’absurdité d’un système et la potentielle cruauté humaine. Brecht nous invite à danser sur le volcan, et peut-être, après le spectacle, avec de l’ancien faire du nouveau, échafauder un autre monde. Il y a dans l’œuvre brechtienne une insolence, une liberté, un sens de la contradiction, un refus des clichés, une jubilation, un humour corrosif, une révolte argumentée, qui invitent le spectateur à une véritable fête théâtrale de l’esprit et des sens. Les vingt-trois artistes, comédiens, chanteurs, musiciens incarneront cette humanité désespérément joyeuse.

 

Une fête théâtrale parlée-chantée

Un Opéra de quat’sous : le titremême de l’oeuvre est un tonique paradoxe. La grande force poétique et dramatique de Brecht est de regarder le monde avec une distance inventive (« distanciation » ou « effet d’étrangeté » ou « éveil critique » ?) permettant à l’oeuvre de ne pas sombrer dans la « pièce à thèse », le simple portrait d’un monde cruel et sans espoir. L’exploitation de l’homme par l’homme. Cette tragique thématique est l’occasion de jouer avec urgence une comédie pour résister par le plaisir, démonter joyeusement, et en musique, l’absurdité d’un système et la potentielle cruauté humaine…

Brecht nous invite à danser sur le volcan, et peut-être, après le spectacle, avec de l’ancien faire du nouveau, échafauder un autre monde. Il y a dans l’oeuvre brechtienne une insolence, une liberté, un sens de la contradiction, un refus des clichés, une jubilation, un humour corrosif, une révolte argumentée, qui invitent le spectateur à une véritable fête théâtrale de l’esprit et des sens. Sur scène, une ronde, un grand mouvement de la pensée où tout se transforme. Dans cette mêlée poétique se côtoientmalfrats,mendiants, prostituées, policiers, autant d’emplois, de rôles interchangeables. Parmi eux, un anti-héros, « Mackie-le-Surineur », à la fois artisan, bandit, roi du crime, jouisseur, amant et époux, directeur d’entreprise, condamné àmort et banquier anobli par la reine. Condensé d’humanité, dans sa sublime imperfection, dans ses contradictions insondables, il est unmatériau idéal pour l’acteur.

C’est sur ce mode d’action que l’espace scénique sera investi par les 23 artistes, comédiens, chanteurs, musiciens qui incarneront cette humanité désespérément joyeuse. Pour inventer d’autres mondes, il s’agira de déconstruire de l’ancien pour reconstruire du nouveau, démonter le héros et ses réponses pour inventer un antihéros qui pose des questions, vider la traditionnelle fosse de son orchestre pour investir le plateau nu, sublime etmisérable. A l’image de Mackie fumant son cigare, recrachant la fumée et disparaissant dans le brouillard de Londres, les êtres et les choses, les lieux et les temps surgissent, se recyclent, se métamorphosent devant nos yeux. Les interprètes vont traverser l’histoire du clan Mackie, du clan Peachum, et se refaire de monde en monde. Ils seront tantôt pauvres, mendiants, flics, malfrats, puissants, putains… jamais à l’abris d’une surprise du destin, car ils savent cette planète instable et l’identité mouvante.

Aujourd’hui le temps s’accélère et les espaces s’abolissent, comme si la réalité s’inspirait du théâtre. Mais ici, au théâtre, on peut arrêter la tragédie et inventer une fin de conte de fée. Quant à la vie ?

LAURENT FRECHURET et EDOUARD SIGNOLET

 

A chaud et à chants !

L’Opéra de quat’sous se fonde sur l’affrontement entre un petit-bourgeois du crime aux grands airs, Mackie-le-Surineur, gentleman serial murder, et un grand-bourgeois de la truanderie, Jonathan Peachum, très respectable chef des mendiants. L’un vit du vol artisanal, l’autre de la charité industrielle. Mais expropriation ou imploration, extorsion physique ou morale, tous deux grapillent les miettes du grand banquet bourgeois – tout en reproduisant l’organisation capitaliste….

Truands, mendiants, policiers et prostituées forment au fond un seul et même monde, guidé par un seul et même principe – la survie par le profit, sans foi ni loi. Fille de Peachum et femme de Mackie, la jeune et pure Polly cristallise la lutte entre deux clans d’unmême système, capitaliste, le butin espéré d’une société où le pouvoir politique (la Reine, invisible) n’est jamais que l’ombre du pouvoir financier (la Banque, omnipotente). De fait, à travers ces bandits singeant les bourgeois, Brecht stigmatise les bourgeois réels aux pratiques de bandits.

Maxime brechtienne : « D’abord la bouffe, ensuite la morale. » Ethiques ou financières,
que valent donc nos si chères valeurs ? Au pic de l’euphorie, elles se vendent au prix fort.
Au coeur de la crise, elles tombent à trois fois rien. Sous les ors illusoires du capitalisme
triomphant et de la bienséance bourgeoise, grondent la misère, le malheur et la faim.
Quemonte ou chute la bourse, la vie se révèle sans fard – réduite à la survie. Et voici l’opéra,
art luxueux par excellence, enfin dépouillé – donné pour quatre sous.Dans leur chef d’oeuvre,
Bertolt Brecht et Kurt Weill attaquent au vitriol les valeurs d’une société naufragée
entre ruine du sens et vertige des sens, destruction des références et fureur des appétits –
cupidité, tyrannie, luxure. Sous l’hypocrisie bourgeoise des convenances, violemment décapée
par l’ironie brechtienne, jaillit la violence de l’injustice sociale – lamisère dumonde.
Sur scène, trois moments historiques se superposent : Londres 1728 (L’Opéra des Gueux
de John Gay, dont s’inspire Brecht), Berlin 1928 (L’Opéra de quat’sous), France 2011. Trois
dates, trois crises.

1728 – à Londres, capitale du capitalisme. Peu après la création de la Banque d’Angleterre,
la faillite du banquier Law a jeté le discrédit sur le papier-monnaie, censé inspirer
la confiance. La faune des bas-fonds « s’enrichit » en déclassés. Dès lors, prenant l’opéra
à rebours, Gay en chasse rois et princesses pour y faire tonner la foule desmiséreux, dont
le piétinement se fait entendre sur la scène de l’Histoire.

1928 – à Berlin, épicentre des Années Folles. Les tranchées de la Première Guerremondiale
ont anéanti les grandes espérances de l’humanisme européen. Décapités, l’Homme, le
Progrès, la Vérité, la Raison, le Bonheur ont perdu leur âme et leur majuscule. Au siècle
précédent, déjà, les maîtres du soupçon avaient creusé la tombe des Lumières : pessimisme
de Schopenhauer, post-nihilisme de Nietzsche, matérialisme de Marx, irrationalisme
de Freud. La boucherie de 1914-1918 radicalise la dévaluation générale des valeurs
occidentales. Du passé, faisons table rase.

Oui, mais pour quoi faire ? Rien, hurlent les dadaïstes européens qui poétisent à coups
de marteau et les expressionnistes qui projettent les cauchemars d’une Allemagne atterrée.
L’avenir, claironnent les constructivistes soviétiques et les futuristes italiens, fascinés
par l’accélération du nouvel âge industriel. L’au-delà, proclament les surréalistes, en
quête du coeur des rêves. Un autre monde, martèlent Brecht et Weill – l’envers de l’exploitation
moderne. En 1928 culminent les « Roaring Twenties », ces rugissantes années
20, vibrantes d’ivresse et de vitesse, de vie frénétique et de prospérité hyperbolique. Un
an plus tard, en 1929, cette mécanique endiablée sera brisée net par une crise absolue,
terreau de toutes les catastrophes – chômage demasse, fascismes, guerre totale, horreur
mondiale. L’Opéra de quat’sousmarque l’instant de la danse au bord du volcan – à quatre
pas de la descente aux Enfers.

1728, 1928, 2011 : si aujourd’hui la crise, une fois encore, nous désenchante, L’Opéra de
quat’sous lui rend bien la monnaie de sa pièce – à chaud et à chants.

GERALD GARUTTI

 

(source : site du Théâtre de Sartrouville et des Yvelines)