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Événement le 18/05/2013 : Rencontre autour des représentations de la Commune de Paris

Le Travail, quelles valeurs ?

le par theatres-politiques

Résumé

{{Dossier « Le Travail, quelles valeurs ? », {Mouvement}, n° 51, mars 2009.}}

{{Sommaire consultable sur le site de la revueouvement}->http://www.mouvement.net/site.php?rub=2&id=237c1e4ee7cc0f2b] :}} {{DOSSIER LE TRAVAIL : QUELLES VALEURS ?}} Il monopolise la plus grande partie de notre temps, nous attendons de lui qu’il apporte du sens à notre vie et en même temps, nous aimerions qu’il y occupe moins de place… Le travail est au cœur de notre paradoxal rapport au monde, et c’est sans doute pour cela que de plus en plus d’artistes de toutes disciplines s’en emparent. Des artistes dont le mode d’existence, lui-même problématique, est peut-être emblématique des changements à opérer. Faute de faire le tour de la question, le dossier à la une du numéro 51 de Mouvement cherche à proposer quelques pistes de réflexion, en compagnie de la sociologue et philosophe Dominique Méda, des artistes Ascanio Celestini, Yann Thoma, Florent Marchet, Nicolas Frize… Le travail est le totalitarisme moderne, peut-on entendre dans le documentaire coup-de-poing de Jean-Michel Carré, J’ai très mal au travail. Et s’il devenait au contraire la première utopie de ce XXIe siècle ? {{PROFILS ET PARAGES}} -* {{Apichatpong Weerasethakul}}, {4 x 2 ou De rupture et d’indolence} : en quatre films, le cinéaste thaïlandais a imposé une singularité stupéfiante, touchant à l’essence même du cinéma. Par Franck Marguin, Thierry Jousse et David Sanson. -* {{Neuer Tanz}}, {Danses suspectes} : dans son gigantesque atelier mobile de plasticien chorégraphe, VA Wölfl dissèque les corporéités glacées de l’urbain occidental. Par Gérard Mayen. -* {{Vincent Segal}}, {Violoncelle acrylique} : sur les traces d’un musicien aussi incontournable qu’insaisissable, qui, de Bumcello à Alain Buffard, cultive l’art de la rencontre. Par Anne-Laure Lemancel. -* {{Le Théâtre du Grütli}}, {Expérimentalement vôtre} : à Genève, le « GRü » se voue exclusivement à la création, avec la conduite de recherches théâtrales de fond. Par Mari-Mai Corbel. -* {{ {Vincennes (qu’on ne connaîtra jamais)} }} : retour littéraire sur l’aventure de l’inter-trans-extradisciplinaire Centre Universitaire Expérimental de Vincennes. Par Arnaud Saint-Martin et Olivier Sécardin. -* {{Les Requins Marteaux}}, {Presse, pouvoir, stupre et huile de moteur} : la revue de bandes dessinées Ferraille Illustré s’expose au Lieu Unique de Nantes. Par Julie Bordenave. -* Portfolio : {{Renaud Auguste-Dormeuil}}, {Les Ambitieux}. -* {{Le Collectif Berlin}}, {Le théâtre, écran du réel} : avec son « théâtre filmique », le collectif anversois sonde et représente les villes de la planète comme autant de textes disant le monde d’aujourd’hui. Par Gwénola David et Jean-Louis Perrier. -* {{Les Gens d’Uterpan}}, {Un ready-made de la danse ?} : à la frontière de la danse et des arts visuels, Annie Vigier et Franck Apertet ont engagé un processus de mise à nu de la relation. Par Judith Souriau. -* {{Philippe Perrot}}, {La peinture comme champ de bataille} : l’œuvre de Philippe Perrot, artiste rare, forme une histoire fragmentaire centrée sur la famille, ses secrets et ses béances. Par Valérie Da Costa. {{ÉDITO DU DOSSIER :}} {{Une utopie à inventer d’urgence}} {{La question du travail est au cœur du nouveau numéro de {Mouvement}. Un dossier de 32 pages invite à réfléchir à un concept qu’il importe de « désenchanter », mais aussi à un monde qu’il s’agit de réinvestir, à la lumière peut-être des voies défrichées par les artistes, pour y exercer notre sens du collectif et du partage. Un dossier qui se prolonge par une série de rencontres-débats.}} Un dossier sur le travail ? Tout nous y incite. L’« actualité », au premier chef. Avec cette omniprésente crise qui, en « révélant » les ravages révoltants causés par le capitalisme financier, est venue entériner l’absurdité d’un monde dans lequel le capital est mieux rémunéré que le travail – le plus absurde étant qu’en fait de révélation, il y avait des années que nous en étions informés. (Car le plus désespérant, dans le monde d’aujourd’hui, c’est toujours de voir à quel point les problèmes sont identifiés, surabondamment commentés, sans que jamais l’apathie et l’inertie individuelles ne s’en trouvent affectées ; comme si le simple fait d’être informé des problèmes suffisait à nous dispenser d’agir – de prendre le temps de nous engager dans une telle activité, collective et non lucrative ; comme si la transformation de la société devait demeurer une affaire de « spécialistes ».) Des travaux de l’Ecole de Francfort ou de Hannah Arendt au {Manifeste contre le travail} publié en 1999 par le collectif allemand Krisis ; des écrits d’André Gorz ou d’Ulrich Beck (qui préconisait l’instauration d’un « revenu de citoyenneté ») à ceux de l’économiste Jacques Robin ou de Jeremy Rifkin ({La Fin du travail}, 1997), en passant par les recherches sur la souffrance au travail menées par un Christophe Dejours ou les innombrables articles publiés sur le sujet, ces dernières années, par des revues telles que Les Périphériques vous parlent (1), {Multitudes} ou {Mortibus} (2), cela fait longtemps que des voix s’élèvent pour mettre en garde contre les dérives du système, et surtout s’accordent pour redéfinir la question du travail au cœur d’un nouveau projet de société. _ La crise actuelle a ceci d’effrayant et d’excitant qu’elle nous replace tous, chacun à notre échelle, face à nos responsabilités : désormais, nous ne pourrons plus faire comme si nous ne savions pas, il nous sera difficile de nous laisser aller en conscience à nos petits penchants mesquins et individualistes. A nous, journalistes, elle impose d’être prudents et surtout cohérents avec nous-mêmes, de nous garder de l’emploi de ces métaphores guerrières, de cette rhétorique paresseuse qui, « traitant » chaque sujet en termes de performance, de « In » et de « Out », de compétition et de superlatifs (encore, pas plus tard que cette semaine, à la Une de {Libération} : un « match » entre les réponses américaine et européenne face à la crise), et en pratiquant la personnalisation à outrance, ne font finalement que traduire la domination écrasante de la doxa capitaliste – de ses méthodes aussi : produire de la nouveauté, de l’« actualité » (en général de qualité de plus en plus périssable), puis en susciter le besoin. _ A nous tous, citoyens, la crise est une invitation à relire André Gorz (« Nous entrons dans une ère où le capital, en changeant de nature, a besoin de moins en moins de travail pour sa valorisation ; où, en conséquence, l’activité humaine ne peut se développer qu’en dehors de la sphère de sa valorisation capitaliste, en dehors du travail-emploi. Nous sommes tous des chômeurs, des précaires, des intermittents en puissance. ») ou, sur ses traces (et dans les pages du numéro 51 de {Mouvement}), Dominique Méda, et à se poser les bonnes questions : de quoi avons-nous peur ? notre besoin de consommation est-il vraiment impossible à rassasier ? _ A ceux qui nous gouvernent, enfin, la crise intime l’ordre de montrer l’exemple, et de passer à l’acte. Il faut « refonder le capitalisme », claironnait Nicolas Sarkozy à la veille de l’ouverture du G20 à Londres : chiche ! Yes we quoi ??? Mais au-delà de l’actualité, de ces « nouvelles » plus ou moins bonnes – en France, pensons aux débats entourant l’instauration, le 1er juin prochain, du RSA (Revenu de solidarité active), ou encore aux crispations autour du statut de l’intermittence – et des « marronniers » de saison, il y a aussi notre quotidien. Si l’on réfléchit en termes de « tendances » (il faut parfois savoir prendre les mots de l’ennemi, pour peu qu’on les manie avec précaution), si l’on regarde derrière soi, faisant le bilan d’environ 15 années de vie professionnelle – il y a 15 ans, je m’en souviens, ni l’e-mail, ni le téléphone portable n’existaient –, et surtout autour de soi, à discuter un peu avec les gens, on ne peut que se rendre à l’évidence : le travail n’a pas seulement perdu de sa valeur, il semble souvent avoir perdu son sens. — Lors d’une rencontre à Avignon cet été, le philosophe Bernard Stiegler envisageait une époque future où la révolution industrielle du début du XIXe siècle ne serait plus considérée que comme une secousse mineure, un simple signe avant-coureur de la gigantesque révolution numérique qui est en train de se produire. Une révolution qui se répercute violemment sur les conditions de travail : aujourd’hui, au moyen d’outils de production que – au moins dans un secteur pauvre tel que celui de la culture ou de la presse indépendante – les salariés ont en général payé de leur poche, le travail déborde largement dans la sphère privée. Les gens que nous croisons font le même constat : accaparés tout le jour par le traitement simultané de quinze tâches (extrêmement) urgentes, on n’a même plus le temps de réfléchir à ce que l’on fait ; et lorsque l’on a du travail intellectuel à produire (un article à écrire, par exemple), on s’y consacre au calme, chez soi, le soir ou le week-end. Plus préoccupante encore est la manière dont un certain nombre d’activités qui ressortissaient jusqu’à présent de la sphère des loisirs sont en train de basculer dans le rayon de la vie professionnelle – dont les « réseaux sociaux », par exemple, risquent de conduire à envisager toutes nos relations en termes de « réseau », comme autant de sources potentielles de « valeur ajoutée ». Car c’est finalement cela qui est en jeu, à travers le travail : notre rapport à l’autre, et notre aptitude à l’engagement. Si l’art doit faire symptôme, alors il est symbolique que le monde du travail soit l’un des prismes privilégiés par lesquels il exerce son indispensable critique de l’absurdité de nos sociétés contemporaines. Au théâtre en particulier – de Michel Vinaver à Falk Richter, d’Edward Bond ({Dans la compagnie des hommes}) aux {Marchands} de Joël Pommerat, de Guy Alloucherie à Magnus Dalhström ou François Bon ({Daewoo}) –, mais aussi dans les romans ou les films (viennent à l’esprit {Ressources humaines} de Laurent Cantet ; {La Question humaine} de Nicolas Klotz ; {Cendrillon}, d’Eric Reinhardt…), de très nombreux artistes sont venus pointer, ces dernières années, les dérives de sociétés dans lesquelles, comme le souligne Dominique Méda, nous n’avons même plus le temps de nous interroger sur la place qu’occupent la production et la consommation dans nos vies – en retirant au final un même constat : notre monde va dans le mur. _ Le travail, en tant que champ de socialisation privilégié, est le domaine où doit s’accomplir cette nécessaire mutation. Les artistes présents dans les pages du dossier du nouveau numéro de Mouvement, mais aussi les initiatives et les démarches artistiques que nous relayons par ailleurs dans ses pages – entre le chantier initié au Théâtre du Grütli à Genève et l’indolence quintessencielle à l’œuvre dans le cinéma d’Apichatpong Weerasethakul, les tentatives d’infiltration du réel des Requins Marteaux, ou encore les vidéos réalisées par Christophe d’Hallivillée dans le cadre de son Studio de Sculpture Sociale, à visionner en Une de mouvement.net – le montrent : l’art n’est pas seulement utile pour pointer nos dérives ; il a peut-être aussi – par son mode de production, par la relation aux « objets » (les œuvres) qu’il induit, mais aussi par le caractère problématique du statut même de ceux qui le font – valeur de modèle. _ En effet, de même que les nouvelles technologies de la connaissance et le Web 2.0 peuvent, selon Stiegler, donner naissance à un nouveau modèle économique et démocratique, fondé sur les pratiques contributives et coopératives, et sur une société dans laquelle les artistes prendraient une part active et concrète dans la diffusion des savoirs, la pratique artistique et le statut des artistes sont peut-être des moyens de préfigurer ce « tiers secteur », déconnecté du circuit marchand de production/consommation, qu’André Gorz appelait de ses vœux, dans un livre au titre éloquent : {Misères du présent, richesse du possible} (1997). La notion de « permanence artistique » ; la dimension sociale de l’art, cette dimension territoriale et éducative dont les politiques culturelles ne sauraient faire l’économie (des interventions in situ de Nicolas Frize au succès, par exemple, d’une pièce comme {501 Blues}, montée par Bruno Lajara avec des ouvrières d’une usine Levi’s) ; comme, plus généralement, les débats autour du mode de rémunération des créateurs, sont autant de pistes à partir desquelles envisager ce « tiers secteur » qui, selon Gorz, peut « préfigurer, au-delà de la société salariale en voie de disparition, une société autre, dans laquelle le travail rémunéré n’est plus le facteur d’intégration principal et où le politique et le sociétal ne sont plus subordonnés à l’économique mais le priment ». Il faut changer de modèle de développement. Et le travail est sans doute le lieu où ces changements doivent s’enraciner dans la mesure où il nous est directement possible, à chacun, d’y contribuer. A l’heure où le lobbying et le corporatisme sont finalement les conceptions les mieux partagées (et les seules véritablement admises) du collectif – en particulier en France, l’un des pays où le statut social a le plus d’importance, et le seul à avoir inventé le concept de « cadre » (4) –, le travail nous invite finalement à restaurer le sens du partage, de l’échange « désintéressé » – un esprit de civisme, un sens du collectif qui viendraient s’opposer à ce culte de l’individualisme que l’on nous injecte à notre corps défendant ( ? ). Le travail est le lieu par excellence où exercer ces qualités fondamentales, mais qui semble hélas bien démodées : c’est aussi par là qu’il peut contribuer à cet épanouissement individuel qui, lorsqu’il est parasité par le culte sournois de l’individualisme, ne sert qu’à mener au cynisme. Dominique Méda, dans ces pages, appelle à « désenchanter le travail », notamment pour pouvoir consacrer du temps à des activités telles que celle-ci : si chaque citoyen consacrait une heure par semaine de son temps pour œuvrer bénévolement (oui, gratuitement !) au bien public, la société se porterait sans doute mieux. Si l’on sait ce qu’il faut faire, pourquoi ne pas le faire ? Le travail est le totalitarisme moderne, peut-on entendre dans le documentaire coup de poing de Jean-Michel Carré, {J’ai très mal au travail} (5). Et s’il devenait au contraire la première utopie de ce XXIe siècle ? 1. Lire en particulier « “Oser l’exode” de la société de travail », passionnant entretien avec André Gorz par Yovan Gilles, in {Les Périphériques vous parlent} n° 10, accessible sur le site de la revue : [www.lesperipheriques.org->http://www.lesperipheriques.org]. _ 2. Voir notamment {Faim du travail}, {Mortibus} numéro 4/5 (automne 2007). _ 3. André Gorz, « Leur écologie et la nôtre », in {Le Sauvage, avril 1974. _ 4. Dans le pays qui se gargarise d’avoir inventé les droits de l’homme et d’arbitrer les élégances et les bonnes manières, on ne se lasse pas de constater chaque jour les ravages d’un individualisme dont le faible taux de syndicalisation est un bon indicateur… _ 5. Ce film a été publié sous forme d’un coffret de deux DVD par les Editions du Montparnasse. A suivre : tables rondes et débats, les 14 avril, 12 mai et 23 juin au Point Ephémère, Paris, et le 20 juin à Mains d’Œuvres. Programme détaillé communiqué sur [www.mouvement.net David SANSON